Istro-roumain

Istro-roumain
Vlåšca ši žei̯ånsca limba
Pays Drapeau de la Croatie Croatie
Pays d'émigration
Région Istrie
Nombre de locuteurs moins de 1000[1]
Classification par famille
Codes de langue
IETF ruo
ISO 639-3 ruo
Langues romanes orientales. L’istro-roumain se situe le plus à l’ouest de toutes (près du "C" de Croatie, en Istrie).

L’istro-roumain est une langue romane parlé par les Istro-Roumains, population de quelques centaines de locuteurs en 2001 dans huit villages de la péninsule d’Istrie, en Croatie. C’est une langue romane orientale, parfois appelée istrien, à ne pas confondre avec l’istriote, une langue italo-romane.

Selon certains linguistes[2], c’est une langue à part entière à égalité avec le roumain, l’aroumain et le mégléno-roumain. D’autres linguistes[3] considèrent l’ensemble des langues romanes orientales comme n’en formant qu’une seule qu’ils appellent « roumain », dont les quatre variantes seraient des dialectes qu’ils appellent daco-roumain, istro-roumain, aroumain et mégléno-roumain. Radu Flora[4] est d’un avis différent, affirmant qu’aroumain et mégléno-roumain sont les deux groupes de dialectes d’une même langue romane orientale du Sud, tandis qu’istro-roumain et daco-roumain sont les deux groupes de dialectes d’une même langue romane orientale du Nord[5].

Quoi qu’il en soit, de nos jours, l’istrien n’est plus parlé que dans huit villages d’Istrie : Žejane, au nord-est du massif montagneux d’Učka, Šušnjevica et six autres villages et hameaux au sud de ce massif. Il y a également des locuteurs éparpillés dans des villes de Croatie (notamment à Pula et Rijeka) et d’autres émigrés surtout en Europe occidentale, aux États-Unis, au Canada et en Australie.

Le terme « istrien » (istriano, istarski jezik) est un exonyme local tandis qu’« istro-roumain » (limba istro-română) est une création académique des linguistes roumains. Ses locuteurs ne l’appellent pas d’une façon unitaire :

  • ceux du sud du massif Učka disent qu’ils parlent vlåšca limba « la langue valaque » ou vlåški « valaque » (adverbe), terme provenant de l’exonyme « Valaques » qu’ils se sont approprié, et qui peut prêter à confusion, puisque les Grecs, les Bulgares et les Serbes l’utilisent pour les Aroumains et les Méglénites, et que les Bulgares et les Serbes emploient aussi pour leurs minorités roumaines (roumanophones de Serbie et de Bulgarie) ;
  • ceux de Žejane affirment qu’ils parlent žei̯ånsca limba ou žei̯ånski (adverbe).

Les Istro-roumains subissant déjà depuis leur établissement en Istrie un processus d’assimilation, et leur langue n’étant pas utilisée sous forme écrite par ses locuteurs, elle est fortement influencée par le croate. Par conséquent, l’UNESCO la considère en grand danger. Il existe à présent certaines actions visant à la sauvegarder, menées par des associations culturelles, avec un certain appui de la part des autorités.

Nombre de locuteurs

Les locuteurs d’istro-roumain ont rarement figuré en tant que tels dans les statistiques, c’est pourquoi leur nombre a toujours été plutôt estimé. Avant le XIXe siècle il aurait été de 10 000[6]. À présent on estime que dans leurs villages il y a encore 150 locuteurs performants en istro-roumain, qui l’ont appris avec leurs parents. Il pourrait y en avoir deux ou trois fois autant éparpillés dans les villes et quelques centaines encore en dehors de la Croatie : Europe, États-Unis[7]. Tous ces gens sont d’âge moyen ou vieux. La transmission de la langue de parents à enfants a pratiquement cessé chez les générations nées dans les années 1950-1960. Les locuteurs jeunes (âgés de 30 ans environ), peu nombreux, l’ont apprise avec leurs grands-parents comme une deuxième ou troisième langue étrangère[1].

Les Istro-roumains et leur langue ne sont pas présents en tant que tels dans les données des recensements mais ils pourraient se trouver parmi celles concernant la minorité nationale roumaine. Ainsi, en 2011, on a enregistré pour toute la Croatie 955 personnes de langue maternelle roumaine[8] mais on ne peut pas savoir combien de ces personnes sont des Boyash, dont la langue maternelle est le daco-roumain. Dans le comitat d'Istrie, 70 personnes se déclarent de langue maternelle roumaine et 6 de langue valaque. Dans le comitat de Primorje-Gorski Kotar, où se trouve Žejane, on enregistre 40 personnes de langue maternelle roumaine.

Le fait que les locuteurs d’istro-roumain étaient plus nombreux est prouvé par des toponymes. Toute une région du nord de l’Istrie, pour la plus grande partie en territoire croate et partiellement en Slovénie, s’appelle toujours Ćićarija, en italien Cicceria, de Ćići, l’un des ethnonymes donnés aux Istro-roumains par les Croates. Parmi les villages habités actuellement par des Istro-roumains, certains ont deux noms, l’un croate, l’autre istro-roumain, comme Jesenovik-Sukodru (cf. roumain sub codru « sous la forêt ») ; d’autres ont un seul nom mais en deux variantes comme Kostârčån, en croate Kostrčani. Il y en a bien davantage ayant de tels noms, mais dans lesquels on ne parle plus l’istro-roumain : Floričići (cf. roumain floricică « fleurette »), Jerbulišće (roum. iarbă « herbe »)[9], Katun, Kature (roum. cătun « hameau »), Fečori (roum. feciori « jeunes gens »)[10] ou Kerbune (roum. cărbune « charbon »)[11]. Il y a d’autres toponymes istro-roumains sur l’île de Krk, où les locuteurs se sont assimilés dans la première moitié du XIXe siècle : Fintira (cf. fântână « puits »), Sekara (cf. secară « seigle »)[12].

Histoire externe

Il est admis en général que l’istro-roumain est le dernier idiome à s’être séparé du proto-roumain mais le lieu et la période où cela est arrivé ne sont pas documentés et sont donc l’objet d’hypothèses[5].

On distingue deux théories principales. Selon celle d’Ovid Densusianu, les Istro-roumains seraient originaires du sud-ouest de la Transylvanie et du Banat historique, d’où ils seraient partis au Xe siècle. Il fonde sa théorie sur des traits de langue, par exemple le rhotacisme de [n] intervocalique simple ([n] > [r]), dans les mots d’origine latine, comme dans le parler des Moți[13]. Cette hypothèse est soutenue par d’autres chercheurs aussi[14].

Sextil Pușcariu est d’un autre avis. Il affirme l’origine sud-danubienne des Istro-roumains, et il situe le lieu de la séparation en Serbie actuelle, tout en admettant qu’ils étaient en contact avec les Roumains de la partie occidentale du territoire nord-danubien. Selon lui, ils se seraient séparés des autres Roumains au XIIIe siècle[15]. Avec des différences quant au lieu exact, la théorie de Pușcariu est elle aussi adoptée par plusieurs chercheurs[16].

Outre ces deux théories, il y en a une intermédiaire, celle d’Elena Scărlătoiu, selon laquelle les Istro-roumains proviendraient de plusieurs « noyaux » du centre, de l’ouest et du nord-ouest de la Transylvanie, ainsi que du sud du Danube, surtout de la vallée du Timok et de la région de Prizren[17].

L’istro-roumain a toujours été une langue essentiellement orale. Ses attestations ont d’abord paru transcrites par des érudits qui se sont intéressés aux Istro-roumains, puis par des linguistes qui ont enregistré des prières, des textes de chansons, des contes et d’autres textes narratifs, des dictons et des proverbes.

La première attestation de l’istro-roumain paraît en 1698, dans une histoire de Trieste écrite par un moine de cette ville, Ireneo della Croce[18]. Celui-ci mentionne l’endonyme Rumeri utilisé à l’époque par les Istro-roumains et donne une liste de 13 noms seuls, 8 noms avec des déterminants et deux phrases simples dans leur langue, avec leur traduction en latin.

En 1819, Ivan Feretić, un prêtre catholique de l’île de Krk, transcrit deux prières en « roumain de Krk »[19]. Ce sont les premiers textes considérés comme attestant l’istro-roumain.

Les attestations suivantes sont une anecdote et une variante de la fable La cigale et la fourmi, enregistrées par l’érudit istrien Antonio Covaz et publiées en 1846 avec leur traduction en latin et en italien[20].

Trois prières en istro-roumain sont publiées en 1856, parmi lesquelles Notre Père[21], dans une revue de Slovénie[22].

Ce sont des chercheurs qui transcrivent et publient le plus de textes oraux, sur lesquels les linguistes travaillent pour décrire la langue[23].

Le premier ouvrage littéraire cultivé paraît en 1905[24], restant aussi le seul jusqu’à quelques autres qui paraîtront dans les années 1990 et après 2000[25].

N’étant pas écrit, l’istroroumain n’a pu être une langue d’enseignement. Les années 1921-1925 ont été la seule période où il a été utilisé dans ce but en parallèle avec le roumain standard, dans une école fondée par Andrei Glavina, un Istro-roumain qui avait fait des études en Roumanie.

Situation actuelle

L’istro-roumain est en voie de disparition, ce qui est reflété par sa présence dans le Livre rouge des langues en danger[26], dans la section Langues en danger grave[27] et dans l’Atlas UNESCO des langues en danger dans le monde[28] de l’UNESCO.

À partir des années 1990 on a entrepris certaines actions pour sauvegarder cette langue. Étant signataire en 1997 de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires[29], la Croatie est invitée par le Conseil de l’Europe à prendre des mesures pour la protection de l’istro-roumain[30]. Dans le cadre des relations bilatérales avec le gouvernement croate, le gouvernement roumain aussi œuvre dans une certaine mesure dans ce sens[31].

En effet, en Croatie on prend certaines mesures. Au niveau central, l’istro-roumain est inscrit sur la Liste des biens culturels immatériels protégés de la Croatie, faisant partie du Registre des biens culturels, en vertu de la Loi sur la protection et la conservation des biens culturels[32]. Au niveau local, au Statut du comitat d’Istrie, adopté en 2009, il est inscrit que le comitat œuvre pour la sauvegarde des dialectes locaux, parmi lesquels l’istro-roumain[33]. En tant que mesure concernant l’enseignement, le Conseil du comitat d’Istrie confie à l’école élémentaire et collège Ivan-Goran-Kovačić de Čepić le soin de promouvoir l’istro-roumain, raison pour laquelle elle bénéficie d’un régime spécial qui lui permet de ne pas appliquer la règle concernant le nombre minimal d’élèves inscrits[34]. En vertu de cette décision, son programme scolaire pour l’année 2016-2017 prévoit 70 heures par an, deux par mois, de istrorumunjski jezik « langue istro-roumaine » et d’autres activités liées aux traditions istro-roumaines, avec deux enseignants[35].

Le Ministère de la culture croate, les conseils des deux comitats où on parle l’istro-roumain et deux mairies soutiennent un projet, Očuvęj vlåška ši žejånska limba (Sauvegarder la langue valaque et de Žejane), initié en 2005 par la linguiste Zvjezdana Vrzić de l’Université de New York avec un groupe d’émigrés istro-roumains vivant aux États-Unis, et étendu à la Croatie en 2007 par l’inclusion du Musée ethnographique d’Istrie, puis, depuis 2011, de trois associations culturelles des Istro-roumains.

Deux autres associations d’Italie agissent dans le même sens : l’Association d’amitié italo-roumaine Décébale de Trieste, présidée par Ervino Curtis, fondée dès 1987[36], et l’Association culturelle Andrei-Glavina de Rome, fondée en 1994 par Petru Emil Rațiu.

D’autres actions sont entreprises par l’intermédiaire du site web Istro-Romanian Community Worldwide (Communauté istro-roumaine dans le monde) de Marisa Ciceran, qui publie de nombreux matériaux de toutes sortes concernant les Istro-roumains et leur langue[37].

Variétés régionales

Chaque village istro-roumain a son parler, avec de petites différences entre ceux du sud du massif Učka et relativement grandes entre ceux-ci et celui de Žejane, ce qui est dû au fait que les deux zones ont pendant longtemps été isolées l’une de l’autre par la montagne. Il y a des différences phonétiques, morphologiques (par exemple la conservation de vestiges de la déclinaison à Žejane et sa disparition dans le sud) et lexicales. Il y a environ 300 unités lexicales qui ne sont pas communes pour le sud et Žejane[38] (voir des détails sur les différences dialectales dans les sections suivantes).

Écriture et prononciation

Presque chaque chercheur a transcrit l’istro-roumain à sa façon. À présent celle qu’on utilise le plus est la graphie de Kovačec, adoptée également par les linguistes roumains Richard Sârbu și Vasile Frățilă, inspirée en grande partie de celle de Sextil Pușcariu, avec des éléments de la graphie du croate. Vrzić propose une graphie plus proche de celle du croate, avec seulement trois lettres qui n’y sont pas. Cette graphie est destinée aux locuteurs d’istro-roumain, qui ont été ou sont scolarisés en croate, et à ceux qui veulent apprendre la langue. Voici les graphèmes différents de ceux du roumain standard au moins dans l’une de ces graphies :

API Istro-roumain
Kovačec 1998[39] Vrzić 2009
[ɒ]/[wɒ] å å
[ǝ]/[ɨ] â â
[k] devant a, å, â, o et u c k
[k] devant e, ę et i k k
[t͡ʃ] č č
[d͡z] dz
[ε]/[e̯a] ę ę
[ɣ] ɣ g
[d͡ʒ] ǧ đ
[j] j
[ʒ] ž[40] ž
[ʎ] lj
[ɲ] ń nj
[ŋ] ŋ n
[ʃ] ș š
[c] t″ ć
[t͡s] ț c
[w] u

L’istro-roumain présente certaines particularités de prononciation par rapport à celle du roumain standard (avec la transcription de Kovačec)[41] :

  • La lettre å rend, en fonction du son qui la précède, parfois la voyelle [ɒ], comme le a français dans le mot « pas » prononcé par les Québécois, (par exemple dans čåsta « celui-ci, celle-ci »), d’autres fois une diphtongue ([wɒ]), par exemple dans cårle « qui, que » (pronom relatif). Cette voyelle est toujours accentuée et sa diphtongaison est plus systématique dans le dialecte du nord, celui de Žejane, que dans ceux du sud.
  • La lettre ę rend, en fonction du son qui le précède, parfois la voyelle [ε], en français rendue par è (par exemple dans Șcužę-m « Excuse-moi »), d’autres fois la diphtongue [e̯a]: vedę « voir ». La diphtongaison de cette voyelle également est plus courante à Žejane.
  • À la différence du roumain, les voyelles [ǝ] et [ɨ] ne se distinguent pas nettement. On entend tantôt l’une, tantôt l’autre, tantôt une voyelle entre elles, là où dans les mots roumains correspondants il y l’une ou l’autre. C’est pourquoi Kovačec et Vrzić les transcrivent par une même lettre, â.
  • Il y a en istro-roumain trois consonnes palatales qui existent dans certains dialectes daco-roumains, par exemple celui du Maramureș :
[ʎ], ressemblant à li dans le mot français « lièvre » – exemple : l’epur « lièvre, lapin »;
[ɲ], comme le français gn dans « agneau » : ńivę « champ »;
[c], ressemblant à ti dans « tien » : t″åro « très ».
  • Deux consonnes sont très rares en istro-roumain, présentes seulement dans des emprunts :
[d͡z] dans d̦ero « zéro »;
[d͡ʒ] dans Ǧermanii̯e « Allemagne ».

Certains sons ont évolué différemment en roumain et en istro-roumain[42] :

Latin Roumain Istro-roumain Traduction
[a] final non accentué : LINGUA > fermeture plus importante : limbă fermeture moins importante : limbę langue
[e] accentué : FERRUM > diphtongaison : fier fl’er fer
[i] accentué : LIGAT > diphtongaison : lea non diphtongaison : lę il/elle lie
[o] accentué : NOCTEM > diphtongaison : noapte non diphtongaison : nopte nuit
[kl] : CLAMARE > chute de [l]: chema palatalisation de [l] : cl’emå appeler
[gl]: *GLEMUS[43] > chute de [l] : ghem palatalisation de [l] : gl’em pelote
[n] intervocalique simple : BENE > inchangé : bine rhotacisme : bire bien
[mn]: SCAMNUM > scaun scånd chaise, table
[nv]: *INVITIARE > învăța ânmețå apprendre
[l] + consonne : ALBUM > inchangé : alb chute de [l] : åb blanc
[ll] + désinence au singulier: VITELLUS > [l] simple : vițel chute de [ll] : vițe veau
[gw] + [e] ou [i]: SANGUEM > affrication de [g] : sânge fricativisation de [g] : sânže sang
[g] + [e] ou [i]: GENUC(U)LUM > affrication de [g] : genunchi fricativisation de [g] : žeruŋclʼu genou

D’autres particularités communes aux dialectes istro-roumains sont :

  • parfois la chute de [a] initial non accentué : (a)flå vs. roumain a afla « apprendre, savoir, trouver » ;
  • absence de [j] après consonne en fin de mot : omir vs. oameni ’gens’ ;
  • absence des diphtongues descendantes avec [w] : av dat vs. au dat « ont donné » ;
  • voyelle + [v] vs. voyelle + [u] : avzi vs. a auzi « entendre ».

Certaines particularités sont spécifiques à tel ou tel dialecte :

  • Dans le dialecte de Šušnjevica il y a tendance à ne pas distinguer [s] de [ʃ]. Ainsi, le nom du village est ici prononcé Șușńevițę ou Sușńevițę. De même, à la différence des autres dialectes, dans celui-ci on prononce [t͡s] au lieu de [t͡ʃ] et [z] au lieu de [ʒ] : țer « ciel », fețor « garçon », sânze « sang », zeruŋclʼu « genou », zos « en bas ».
  • Dans le dialecte de Žejane, /g/ se réalise le plus souvent comme [ɣ].
  • À Žejane également, au lieu de [ε]/[e̯a] à la fin des féminins on prononce [a], ce qui fait que, sans contexte adéquat, on ne distingue pas au féminin singulier la forme à article défini de celle sans article : limba signifie « langue » mais aussi « la langue ».

Grammaire

La structure grammaticale de l’istro-roumain est en partie différente de celle du roumain, principalement à cause de l’influence croate.

Morphologie

En morphologie on remarque non seulement l’influence du croate, mais aussi des différences entre les dialectes du sud d’un côté et celui de Žejane de l’autre.

Le nom

Quant au genre des noms, il est à noter que le neutre tel qu’il existe en roumain, c’est-à-dire le nom neutre étant masculin au singulier et féminin au pluriel, s’est conservé seulement dans le sud : un zid « un mur » – do zidure « deux murs » (le genre est visible à la forme du déterminant). À Žejane les neutres sont devenus masculins mais peuvent garder une désinence de pluriel spécifique au neutre : doi̯ zidure « deux murs » (doi̯ étant le masculin de do). Par ailleurs, le neutre existe dans ce dialecte aussi, mais c’est celui spécifique aux langues slaves, ce dialecte empruntant des neutres croates sans les adapter au système propre des genres (exemple : zlåto « or »)[5],[44].

La formation du pluriel présente plusieurs particularités :

  • La disparition de [j] final après consonne provoque au masculin l’expression du pluriel seulement par le changement de la consonne finale ou de celle d’avant le e du singulier, accompagné ou non du changement de la voyelle de la racine du mot : ånåń « années », fråtefråț « frères », šårpešerp « serpents », muľåremuľer « femmes ». Les mots où il n’y a changement ni de consonne ni de voyelle restent inchangés au pluriel : lup « loup » – lup « loups ».
  • Les noms terminés en -l’e, -ńe, -če, -șe, -že ont également la même forme au singulier et au pluriel : fil’e « fille, filles » (par rapport à ses/leurs parents).
  • Les noms masculins terminés en -u ont le pluriel en -i vocalique : ocľu « œil » – ocľi « yeux ».
  • La désinence de pluriel -ure s’est étendue du neutre à certains masculins : lup peut aussi avoir le pluriel lupure.
  • La consonne l’ est tombée de la fin des mots au singulier, devenant leur désinence de pluriel : vițe « veau » – vițel’ « veaux ».
  • Dans le sud il y a alternance au féminin singulier ~ -e au pluriel (cåsęcåse « maisons »), et à Žejane -a ~ -e: cåsa (sans article) – cåse[44].
  • Les neutres en -o, d’origine croate, ne changent pas de forme au pluriel.

L’expression des cas génitif et datif est plus analytique qu’en roumain, ces deux cas s’exprimant généralement avec la particule lu antéposée, le nom pouvant être avec ou sans article défini : fil’u lu țesåru « le fils de l’empereur », spure lu fråț « il/elle dit aux frères », cuvintę i̯e lu mul’ęre « dit-il à la/sa femme ». Dans le sud, lu est utilisé au féminin aussi, tandis qu’à Žejane on emploie le au féminin (le mul’åre « à la/sa femme »). De plus, dans ce dialecte, la forme synthétique aussi est présente, car des vestiges de la déclinaison y sont conservés : « à la/sa femme » se dit aussi mulʼerlʼei̭. Au génitif on utilise a devant lu/le, systématiquement à Žejane (filʼu a lu crålʼu « le fils du roi »), parfois dans le sud. A est employé seul au génitif des noms neutres d’origine croate : a zlåto « de l’or »[45].

Les articles

L’article indéfini a, au cas nominatif et accusatif, des formes différentes de celles du numéral cardinal correspondant à « un, une » :

  • Au masculin singulier, dans le sud, sa forme est un: un måre codru « une grande montagne ».
  • Au masculin singulier, à Žejane, sa forme est ân, avec les formes conjointes -u (ânr-u loc « dans un endroit ») et (popi po-ŋ ɣlåž de vir « boire un verre de vin »). Il a aussi sa forme de génitif-datif : urvę « d’/à un »[44].
  • Au féminin singulier sa forme est o partout, à Žejane avec la forme de génitif-datif urlʼę « d’/à une ».

Les formes de l’article défini :

  • masculin et neutre singulier, pour les noms terminés en consonne : -u, ce qui en roumain est une voyelle de liaison devant l’article proprement dit, -l (scåndu vs. scaunul « la chaise ») ;
  • masculin et neutre singulier, pour les noms terminés en -e : -le (cârecârele « le chien ») ;
  • féminin singulier (dans les dialectes du sud) : -a qui remplace le (cåpręcåpra « la chèvre ») ;
  • masculin pluriel: -i (omiromiri « les gens ») ;
  • féminin pluriel : -le (cåprecåprele « les chèvres ») ;
  • neutre pluriel dans le sud, les mêmes noms étant du masculin à Žejane : -le qui fait tomber le e de la fin des mots (pičorepičorle « les jambes »).

Les noms neutres en -o sont employés sans article défini[46].

L’opposition nom à article défini vs. nom à article indéfini a faibli, l’article défini étant utilisé là aussi où en roumain on utilise l’article indéfini. Ainsi, furåt-a åcu peut signifier aussi bien « il/elle a volé l’aiguille » que « il/elle a volé une aiguille »[38]. Dans le dialecte de Žejane, les féminins singulier sans article se terminant en -a, les formes à article défini et sans article se confondent : fęta peut signifier « la fille », ainsi que « fille » : čåsta fęta če s-av asęra facut « cette fille qui est née hier soir » vs. ali fęta ali fečor « soit fille, soit garçon »[44].

L’adjectif

Sous l’influence du croate, certains adjectifs ont une forme de neutre aussi, marquée par la désinence -o (bur, burę, buro « bon, bonne »), d’autres non : tirer, tirerę « jeune ». Exemple avec l’adjectif au neutre : i̭åle buro cuhęi̭t-a si muŋcåt-a « elles ont préparé et mangé quelque chose de bon »[44].

L’une des particularités de l’istro-roumain est l’application de la terminaison -(i)le (qui contient l’article défini -le) en tant que marque de masculin singulier pour des adjectifs : do talii̯anskile rat « jusqu’à la guerre avec l’Italie », totile ånu « toute l’année »[47].

Le comparatif de supériorité se forme avec l’adverbe mai̯ non accentué, et pour obtenir le superlatif relatif de supériorité, on ne fait qu’accentuer mai̯ : mai̯ mare « plus grand(e) », mái̯ mare « le/la plus grand(e) ». La comparaison se construit avec la conjonction de ou sa correspondante croate nego : mai̯ mușåt de/nego mire « plus beau que moi »[48].

Le numéral

Le numéral istro-roumain est fortement influencé par le croate. Il n’y a de formes héritées du latin que les numéraux cardinaux correspondant aux nombres de 1 à 8, 10 et 1000.

Numéraux cardinaux :

1 ur (masc.), urę (fém. dans le sud), ura (fém. à Žejane), uro (neutre). Ces formes sont différentes de celles de l’article indéfini, mais à Žejane il y a les mêmes formes de génitif-datif que celles de l’article : urvę « d’/à un » et urlʼę « d’/à une ».
2 doi̯ (masc.), do (fém.)
3 trei̯
4 patru
5 činč, ținț (à Šušnjevica)
6 șåse
7 șåpte
8 opt (à Žejane), osân (à Šušnjevica), osâm (dans les autres villages du sud)
9 devet
10 zęče (dans le sud), deset (commun)
11 i̯edânai̯st
12 dvanai̯st
13 trinai̯st
20 dvadeset
21 dvadeset și ur
30 trideset
100 sto
200 dvisto
1000 miľe, mil’år (du dialecte vénitien), tisut″ (du croate, à Žejane), tå(v)žânt (de l’allemand, à Žejane)

Numéraux ordinaux :

1er pârvi (masc.), pârvę (fém., dans le sud), pârva (fém., à Žejane), pârvo (neutre)
2e doi̯le (masc.), dova (fém.), dovo (neutre)
3e trei̯le (masc.), trei̯a (fém.), trei̯o (neutre)

Les pronoms

Le pronom personnel

Formes des pronoms personnels :

Personne Nominatif Datif Accusatif
formes disjointes formes conjointes formes disjointes formes conjointes
1re sg. i̯o « je, moi » mii̯e « à moi » âmń-, mń- (dans le sud), âm, âmi̯-, mi̯- (à Žejane), mi m-, -m (communes) « me, m’ » mire « moi » me, m-, -m « me, m’ »
2e sg. tu « tu, toi » ții̯e « à toi » âți̯-, ți̯- (à Žejane), âț, ți, ț-, -ț (communes) « te, t’ » țire « toi » te, t- « te, t’ »
3e sg. masc. i̯e « il, lui » (a) lui̯ « à lui » âľ, ľ-, -ľ, ľi « lui » i̯e « lui » âl, l-, -l « le, l’ »
fém. i̯å « elle » (a) ľei̯ « à elle » âľ, ľ-, -ľ « lui » i̯å « elle » o, vo « la, l’ »
1re pl. noi̯ « nous » (a) no « à nous » ne, na, n-, ni « nous » noi̯ « nous » ne, na, n- « nous »
2e pl. voi̯ « vous » (a) vo « à vous » ve, va, v-, vi « vous » voi̯ « vous » ve, va, v- « vous »
3e pl. masc. i̯eľ « ils, eux » (a) lor « à eux » le (dans le sud), la (à Žejane), l- (commune) « leur » i̯eľ « eux » ľ- « les »
fém. i̯åle « elles » (a) lor « à elles » le (dans le sud), la (à Žejane), l- (commune) « leur » i̯åle « elles » le (dans le sud), la (à Žejane), l- (commune) « les »

Remarques :

  • Les formes disjointes précédées de a et les conjointes na, va sont employées à Žejane.
  • À la différence du roumain, les formes disjointes de datif et d’accusatif peuvent être utilisées sans leurs correspondantes conjointes :
i̯eľ-a mii̯e zis ke… (littéralement « ils ont à moi dit que… » vs. ei mie mi-au zis că… (litt. « ils à moi m’ont dit que… ») ;
tire am clʼemåt (litt. « toi ai appelé ») vs. „pe tine te-am chemat” (litt. « toi t’ai appelé »).

D’autres exemples en phrases : i̭elʼ le ganescu « ils leur parlent », la ziče « il/elle leur dit », lʼ-a vezut « il/elle les a vus ».

Le pronom réfléchi

Les formes du pronom réfléchi :

Datif Accusatif
forme disjointe formes conjointes forme disjointe formes conjointes
sii̯e « à soi » âș(i̯), -ș « se, s’ » sire « soi » se, s- « se, s’ »

Exemples en phrases : i̭elʼ vút-a åsiri cu sire « ils avaient des ânes avec eux », omiri åv âș ńivele zapustit « les gens on abandonné leurs champs »[44].

Le pronom-adjectif possessif

Les formes des pronoms-adjectifs possessifs sont assez différentes dans les dialectes du sud, d’un côté, et dans celui de Žejane, de l’autre.

Dans le sud :

Possesseur(s) Objet(s) possédé(s)
Masculin singulier Neutre Féminin singulier Masculin pluriel Féminin pluriel
Personne 1re singulier me « mon, le mien » mevo « mon, le mien » « ma, la mienne » melʼ « mes, les miens » męle « mes, les miennes »
2e singulier te « ton, le tien » tevo « ton, le tien » « ta, la tienne » telʼ « tes, les tiens » tęle « tes, les tiennes »
3e singulier se « son, le sien » « sa, la sienne » selʼ « ses, les siens » sęle « ses, les siennes »
1re pluriel nostru « notre, le nôtre » nostro « notre, le nôtre » nostrę « notre, la nôtre » noștri / nostri « nos, les nôtres » nostre « nos, les nôtres »
2e pluriel vostru « votre, le vôtre » vostro « votre, le vôtre » vostrę « votre, la vôtre » voștri / vostri « vos, les vôtres » vostre « vos, les vôtres »
3e pluriel se « leur, le leur » « leur, la leur » selʼ « leurs, les leurs » sęle « leurs, les leurs »

À Žejane :

Possesseur(s) Objet(s) possédé(s)
Masculin singulier Neutre Féminin singulier Masculin pluriel Féminin pluriel
Personne 1re singulier a mev a mevo a mę / a må a melʼ a męle
2e singulier a tev a tevo a tę / a tå a telʼ a tåle
1re pluriel a nostru a nostro a nostra a noșt″i a nostre
2e pluriel a vostru a vostro a vostra a voșt″i a vostre
3e singulier et pluriel a sev a sevo a så a selʼ a såle

Remarques :

  • Les formes nostri et vostri sont spécifiques au dialecte de Šušnjevica.
  • Les mêmes formes sont utilisées comme pronoms et comme adjectifs.
  • L’adjectif est antéposé, sous l’influence du croate : a mev nono « mon grand-père ».
  • Le génitif-datif de ces pronoms s’exprime avec lu/le : lu nostru « au nôtre ». À Žejane il y a aussi des formes déclinées : a melʼę sore « à ma sœur », če-i̭ a melvę om? « qu’est-ce qu’il a, mon mari ? » (litt. « quoi est à mon mari ? »)[44].
  • Le(s) possesseur(s) de la 3e personne peut/peuvent aussi être exprimé(s) par le pronom personnel de la même personne au cas génitif : (a) lui̯ « à lui », (a) ľei̯ « à elle », (a) lor « à eux/elles ». Exemples : (a) lui̯ fråte « son frère (à lui) », a lʼei̭ surâr « ses sœurs (à elle) », (a) lor cåse « leurs maisons ».
Le pronom-adjectif démonstratif

Les mêms formes sont utilisées comme pronoms démonstratifs et comme adjectifs démonstratifs. Ceux qui expriment la proximité sont :

  • dans le sud : čâsta « ce/cet …-ci, celui-ci », čâstę « cette …-ci, celle-ci », čeșt″i « ces …-ci, ceux-ci », čâste « ces …-ci, celles-ci », mais à Šušnjevica țâsta, țâstę, țeșt″i, țâste ;
  • à Žejane : čåsta, česta, čeșt″i, čåste.

Pour l’éloignement :

  • dans le sud : čâla/čela « ce/cet …-là, celui-là », ča/čå « celle …-là, celle-là », čelʼ « ces …-là, ceux-là », čale/čåle/čâle « ces …-là, celles-là », à Šušnjevica țâla/țela, ța/țå, țelʼi, țale/țåle/țâle;
  • à Žejane : (a)čela, (a)čå/(a)ča, (a)čelʼ, (a)čåle/(a)čale.

Le génitif-datif est en général exprimé analytiquement (par exemple lu ța « de/à celle-là »), mais à Žejane il y a des formes synthétiques aussi : čestvę « de/à celui-ci », čeșt″ę « de/à celle-ci », čestorę « de/à ceux-ci/celles-ci ».

Le pronom interrogatif-relatif

Čire (țire à Šušnjevica) « qui » est un pronom interrogatif-relatif se référant aux personnes. Sa forme de génitif-datif est cui̭ (a cui̭ à Žejane) : čire-i̭ ånča? « qui est là? », a cui̭ ai̭ ačå dåt? « à qui as-tu donné cela ? »[44], Lu cui̭ i̭ești tu, fęta? « Qui est ton père/ta mère, ma fille ? » (litt. « De qui es-tu, fille ? »[48], țire su åt i̭åma såpę ke vo scopę su sire « qui creuse une fosse pour les autres y tombe » (litt. « qui creuse la tombe sous autrui, qu’il la creuse sous soi »).

Če (țe à Šušnjevica) « quoi, que » se réfère aux inanimés. Dans les dialectes du sud il est utilisé sans accent aussi, en tant que particule interrogative, correspondant à peu près à « est-ce que » et, donc, perdant son sens d’origine : če nú știi̭? (l’accent passe sur le mot de négation) « est-ce que tu ne sais pas ? »

Cårle/cåre/care (masc. sg.), cåra/cårę (fém. sg.), cåro (neutre), cårlʼi/carlʼi/cåri/cari (pluriel) correspond à plusieurs pronoms relatifs français. À Žejane il a des formes de génitif-datif aussi : carvę (masc. sg.), carlʼę (fém. sg.), carorę (pluriel). Exemples en syntagmes : cârstii̭ånu cåre vire « l’homme (litt. « le chrétien ») qui vient », žensca cåra virit-a « la femme qui est venue », våčile cåri dåvu bur låpte « les vaches qui donnent du bon lait »[44].

Le pronom et l’adjectif indéfini

Le numéral ur, urę/ura, uro est aussi pronom indéfini : ur lu åt « l’un à l’autre ».

D’autres mots indéfinis sont :

  • nușcarle/nușcårle, nușcara, nușcarlʼi « quelqu’un » (au singulier), « un certain, une certaine, certains, certaines » : nușcarlʼi cu måkina žńescu « certains battent le blé avec la machine », nușcarle brec « un chien (quelconque) » ;
  • saki/såki avec la variante sakile/såkile « chaque, chacun, n’importe quel, n’importe lequel », saca/såca « chaque, chacune, n’importe quelle, n’importe laquelle : saki cârsti̭ån « chaque homme », såkile ån « chaque année », saca domaręța « chaque matin » ;
  • le correspondant du français « tout, toute, tous, toutes » :
– dans le sud : tot(u) « tout », totę « toute », tot « tout » (neutre), toț « tous », tote « toutes » : tota nopta « toute la nuit », toț omiri « tous les gens » ;
– à Žejane : tot(ile), tota, tot, toț, tote : totile pemintu « toute la terre », i̭uva-i̭ tot a mevo puso? (avec la forme de neutre) « où est mis tout ce qui est à moi ? » ;
  • vrun, vro avec la variante vrur, vrurę « un/une (quelconque), l’un, l’une » : ț-ai̭ aflåt vro fętę? « tu t’es trouvé une fille ? », vrurę de i̭åle « l’une d’entre elles ».

Avec la particule nușt″u, provenant de nu știvu « je ne sais pas », précédant des pronoms interrogatifs, on forme des locutions pronominales indéfinies telles que nușt″u čire « quelqu’un », nușt″u če « quelque chose », etc.

Le correspondant du français « un autre, une autre, d’autres » est åt/åtu/åtile (masc. sg.), åtę/åta (fém. sg.), åto (neutre), ålʼț (masc. pl.), åte (fém. pl.) : åtile ɣlås « une autre voix ». À remarquer sur ce pronom-adjectif :

  • À Žejane il a des formes de génitif-datif aussi : atvę « d’/à un autre », atlʼę « d’/à une autre », atorę « d’autres, à d’autres ».
  • En tant que correspondant de « l’autre, les autres » il est utilisé parfois seul (ur lu åt ou ur atvę « l’un à l’autre »), mais plus souvent précédé d’un pronom démonstratif d’éloignement : čela åt pičor « l’autre jambe », čela åtu « l’autre » (pronom).
  • La forme neutre åto a le sens « autre chose » : ni cârbur ni åto « ni charbon ni autre chose ». Ce sens est exprimé également avec des mots interrogatifs ou négatifs antéposés : țevå åto « autre chose, quelque chose d’autre », niș åto « rien d’autre ».
  • Précédé du mot nușcårle, il forme la locution pronominale nușcårle åt « quelqu’un d’autre ».
  • Utilisé après les pronoms personnels noi̭ et voi̭, il met en opposition ces personnes avec d’autres : noi̭ ålʼț « nous autres ». C’est un calque d’après l’italien noi altri.
Le pronom et l’adjectif négatif

Ničur, ničo « aucun, aucune » est pronom et adjectif. Sa forme de masculin a le sens « personne » aussi, qui a la forme de génitif-datif lu ničur dans le sud et ničurvę Žejane « de/à personne ».

Niș (nis à Šušnjevica) est le pronom négatif se référant aux inanimés : tu n-åri frikę nis « n’aie peur de rien », niș tâmno « rien de mal »[44].

Le verbe

Diathèses

En istro-roumain, comme en roumain, le verbe peut être à la diathèse active, passive ou réfléchie. Dans les dialectes du sud, à côté du passif avec le verbe auxiliaire fi « être » il y a une construction calquée sur l’italien, avec le verbe veri/viri « venir » : våca virit-a uțisę « la vache a été tuée »[49].

Aspects

L’istro-roumain a emprunté au croate la manière dont celui-ci exprime les aspects inaccompli et itératif d’une part, et les aspects accompli et inchoatif de l’autre. Quant aux formes temporelles du passé, l’imparfait de l’indicatif, qui exprime implicitement l’inaccompli et l’itératif, a presque complètement disparu en istro-roumain. Le passé composé, qui exprimait implicitement l’accompli et l’inchoatif existe bien en istro-roumain mais le verbe à cette forme peut être d’aspect accompli/inchoatif ou inaccompli/itératif. L’expression de ces aspects s’est étendue à d’autres formes verbales aussi. Exemple au passé composé :

m-a tunče bușnit « il/elle m’embrassait alors » (itératif) vs. i̯el’ s-a pozdravit și s-a pobușnit ils se sont salués et embrassés (accompli)

Les aspects s’expriment surtout par l’absence ou la présence d’un préfixe. Certains préfixes sont hérités du latin (a-, ân-/âm-, dis-), mais la plupart sont slaves : do-, iz-, na-/ne-, o(b)-, po-, pre-, pri-, ras-/res-, s-, za-/ze-. Paires de verbes d’aspects différents :

  • durmi « dormir » (inaccompli/itératif) – zâdurmi/zedurmi « s’endormir » (inchoatif);
  • tal’å « couper » (inaccompli/itératif) – potal’å « couper (complètement) » (accompli);
  • viså « voir en rêve » (inaccompli/itératif) – ânviså « lui apparaître en rêve » (inchoatif).

L’opposition d’aspect peut s’exprimer également par des paires de synonymes, le verbe inaccompli/itératif étant d’origine latine, l’accompli/inchoatif – slave :

  • av muŋcåt pâr la tot poi̭dit-a « il/elle a mangé jusqu’à ce qu’il/elle ait tout fini » (litt. « il/elle a mangé jusqu’à ce qu’il/elle ait tout mangé »);
  • se bęi̭e cafe « on boit du café » (itératif) – popę cafelu! « bois ton café ! » (accompli)[44].

L’aspect itératif peut s’exprimer par les suffixes slaves -ęi̭ et -vęi̭ aussi. On peut les ajout