Loisir

Femmes tahitiennes à la plage, Paul Gauguin, 1891.
Temps du loisir en Afrique du Sud.

Le loisir est l'activité que l'on effectue durant le temps libre dont on peut disposer[1]. Ce temps libre s'oppose au temps prescrit, c'est-à-dire contraint par les occupations habituelles (emploi, activités domestiques, éducation des enfants…) ou les servitudes qu’elles imposent (transports, par exemple).

Le mot, dérivé du verbe latin licere (« être permis »), renvoie, au début du XIIe siècle, aux notions positives de « liberté », et d'« oisiveté ». Puis, à partir du XVIIIe siècle, il évolue vers le sens de « divertissement ».

Historique

L'Âge d'or et la perte du Paradis terrestre

Les textes fondateurs de la civilisation judéo-chrétienne[2] décrivent un état originel de l'humanité de type idyllique (Âge d'or), où les degrés de liberté et de loisir semblent majoritaires. Puis, l'Homme est chassé de ce paradis à la suite de la consommation du fruit de l'Arbre de la connaissance. Cet « usage de la connaissance » semble correspondre à ce qui s'est produit au moment de la révolution néolithique lorsque, sous la pression démographique, la conception hédoniste du chasseur-cueilleur (représentée par Abel) est supplantée par un nouvel ordre (représenté par Caïn) marqué par la raréfaction des biens et la nécessité du travail. C'est l'injonction fameuse de la Bible (au chapitre de la Genèse) : « Désormais tu travailleras à la sueur de ton front ». L'ère du loisir et la société de l'abondance et de la gratuité sont rattrapées par une nouvelle formulation du principe de réalité.

Antiquité et Moyen Âge

Consécutivement à cette vision primitive, le Loisir se définit dans l'Antiquité païenne par deux mots :

  • en grec « Skholè » (qui a donné le latin « schola » et le français « école »[3]) ;
  • en latin, « otium » (le mot qui désigne le temps de loisir, et qui a donné le français oisif), qui est l'opposé du « negotium » (nec-otium : le non-loisir), qui a donné naissance en français au terme de négoce.

Sénèque loue les mérites de l'otium et le considère comme la caractéristique de l’homme vraiment libre – mais en ajoutant qu’il est bon de le consacrer à un rôle social ou politique dans la cité. Cette vision est une dimension fondamentale qui trouve son prolongement dans la conception aristocratique : l'Homme « noble », l'aristocrate, s'intéresse davantage à l'activité libre qu'à l'activité contrainte : le travail est considéré comme une servitude de l'être de condition inférieure.

Les préceptes évangéliques aboutissent aux mêmes conclusions, sur la base d'une réflexion différente : Ils sont en effet un appel à ne pas perdre sa vie dans les futilités terrestres mais à la gagner en sachant discerner l'essentiel :

« Voyez les lis des champs : ils ne filent ni ne cousent et pourtant jamais Salomon n’a été vêtu comme eux dans toute sa gloire.
Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » (Matthieu, 16.26)
« Celui qui cherche à conserver sa vie la perdra, tandis que celui qui perd sa vie à cause de moi, la retrouvera. » (Matthieu, 10.39)

Plus tard, Thomas d'Aquin ajoutera l'idée du loisir nécessaire en tant que moment réparateur.

Temps modernes

La Conférence internationale du travail, Genève, en 1924, (p. 644) dispose dans ses conclusions : « Considérant qu'en adoptant dès sa première session, à Washington, une Convention sur la durée du travail, la Conférence générale a eu notamment pour objet de garantir aux travailleurs, outre les heures de sommeil nécessaires, un temps suffisant pour faire ce qui leur plaît, ainsi que l'indique exactement l'étymologie du mot "loisirs" […] ».

Mécanisation et informatisation libèrent progressivement l’homme de nombreux travaux physiques pénibles, dans le même temps il est vrai qu’il charge son mental : transports domicile-travail, complexité administrative souvent accrue, difficultés liées à une mauvaise ergonomie en informatique, travaux nerveusement pénibles, etc. Ainsi, le temps de travail « comptabilisé » diminue globalement et la réduction du temps de travail dégage pour chacun plus de « temps libre ».

Ce temps libre permet de participer à plusieurs activités autres que celles consacrées à la « survie » ou à la « reproduction ». Ainsi, s’investir dans des associations, développer ses compétences ou exercer une activité différente (culture, peinture, jardinage, sport...).

Il est difficile de déterminer si le phénomène a été accompagné ou non d’un développement de l’activité intellectuelle. Difficile aussi de savoir si ne se développe pas une sorte d’« activisme des loisirs » qui nous amène à neutraliser nous-mêmes en activités diverses ce qui aurait pu constituer, avant mobilisation à d’autres fins, un temps le loisir. Le problème du manque de temps semble ainsi en augmentation et non en diminution depuis les années 1960, au moins dans les grandes villes.

Un auteur comme Jeremy Rifkin estime que nous nous acheminons à terme vers une société sans travail. Avant qu’une telle situation n’émerge, si elle le fait un jour, il faudra améliorer les points suivants :

  • les conditions de travail ;
  • la durée du travail, dans une année et en nombre d’années de la vie ;
  • les conditions d’existence et de « fin de vie » des citoyens.

Ceci contribuera sans doute à ce que cette réduction de volume de travail se traduise plutôt par une redistribution de l’activité, ce qui permettrait d’alléger le temps de travail, au lieu de se traduire par une concentration de l’activité, qui produirait du chômage.

Le philosophe Bertrand Russell a abordé cette question dans deux de ses ouvrages : Essais sceptiques et un ouvrage de jeunesse, Le monde qui pourrait être (avec lequel il prit quelque distance par la suite).

Loisir et loisirs : glissement sémantique

On qualifie également le loisir de « temps libre », soit un temps usuellement consacré à des activités essentiellement non productives d’un point de vue macroéconomique, activités souvent ludiques ou culturelles : bricolage, jardinage, sports, divertissements... Cela a entraîné par la suite un glissement sémantique du terme « loisir » (temps libre) vers celui de « loisirs » (divertissements et sports).

Le mot a commencé à accuser ce glissement de sens dans les années 1960-70, sans doute à la suite de son usage répété dans l’expression « civilisation des loisirs » (expression que l'on doit à Joffre Dumazedier dans un de ses ouvrages, publié en 1962, Vers une civilisation du loisir ?). Beaucoup usent du terme comme synonyme de « divertissement », ce qui constitue une déviation importante de signification.

L'expression « industrie des loisirs » fait directement écho à cette notion de loisirs-divertissements, en proposant une vision productiviste voire mercantile de la production de biens et de services propres à satisfaire les besoins des ménages liés à leur temps de loisir : on considère ici que ce temps est consacré à la consommation de masse, pour s’occuper.

Expressions

Bibliographie

Notes et références

  1. Laurent Turcot, Sports et Loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016, p. 13-14.
  2. Voir le chapitre de la Genèse dans la Bible.
  3. Cette notion traditionnelle d'« école » est pour nous surprenante, car opposée au ressenti le plus répandu, qui assimile l'école à une activité sinon forcée, du moins obligatoire. Même de nos jours, certaines associations conservent ce sens d'occupation réservée essentiellement à des hommes libres. Ainsi, une école belge d'humanités classiques, tout à fait indépendante et donc libre, affiche encore un sigle où se retrouvent à la fois les mots SCHOLA NOVA ainsi que le mot OTIUM dans des citations de Sénèque et de Virgile.
  4. [PDF] « Lire en ligne l'introduction »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?) sur www.puq.ca.

Voir aussi

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