Surréalisme

Le surréalisme est un mouvement poétique et artistique du XXe siècle directement issu de la révolte incarnée par le mouvement dada tout à la fin de la Première Guerre mondiale. Comprenant l’ensemble des procédés de création et d’expression (peinture, dessin, musique, photographie, cinéma, poésie, contes...) utilisant toutes les forces psychiques (automatisme, rêve, inconscient) libérées du contrôle de la raison et en lutte contre les valeurs reçues, il est caractérisé par sa transdisciplinarité (poésie, peinture, objet, collage, cinéma, costume...) et l'importante collaboration entre ses membres.

En 1924, André Breton le définit dans le premier Manifeste du surréalisme comme un « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale […] ».

Le surréalisme repose sur la conviction qu'il existe une réalité supérieure dans certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, comme entre autres la toute-puissance du rêve ou le jeu désintéressé de la pensée. Il se plaît aux rapprochements inattendus entre des termes apparemment inconciliables, de façon à faire jaillir un sens neuf ou, comme le dit Breton, « une lumière particulière, lumière de l'image »[1]. Le surréalisme tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie[2] (XXe siècle). En réactualisant la dimension poétique de la peinture, le surréalisme se heurte à la question de la représentation du non-figurable et de l'indicible.

Histoire

Le musée Gustave-Moreau, à Paris, qu'André Breton aimait visiter.

Précurseurs et sources du surréalisme

Dans le courant du XIXe siècle, le « super naturalisme » de Gérard de Nerval, le symbolisme de Charles Baudelaire et de Stéphane Mallarmé et, enfin surtout, le romantisme allemand de Jean Paul (dont les rêves annoncent l'écriture automatique) et d'Hoffmann peuvent être considérés comme des mouvements précurseurs du surréalisme. Plus proches, les œuvres littéraires d'Alfred Jarry, d'Arthur Rimbaud et de Lautréamont, et picturales de Gustave Moreau et Odilon Redon sont les sources séminales dans lesquelles puiseront les premiers surréalistes (Louis Aragon, André Breton, Paul Éluard, Philippe Soupault, Pierre Reverdy). Quant aux premières œuvres plastiques, elles poursuivent les inventions du cubisme.

Dadaïsme et surréalisme

À partir de 1917, et du ballet Parade, Cocteau et Apollinaire réfléchissent sur ce qu'ils ressentent être un esprit nouveau. Apollinaire reprend les Mamelles de Tirésias, qu'il avait rédigé en 1903, pour y ajouter des éléments qui lui semblent découler tout naturellement des sensibilités de l'époque : tout un peuple représenté par une seule personne, un kiosque à journaux parlant, ou diverses provocations. Ce courant, se nourrissant de la période dada, trouve une nouvelle concrétisation avec la pièce Les Mariés de la tour Eiffel, en 1921. Pour cette pièce, Cocteau, à une musique bruitiste, préfère un amalgame de music-hall et d'absurde, poussant autant que possible la pataphysique de Jarry. À partir de là, débordant le mouvement dada, mais nourris par lui, les artistes recherchent des idées nouvelles[3].

Après avoir été séduits par le dadaïsme, les surréalistes s'inscrivent en rupture par rapport à ce mouvement : ils considéraient que le surréalisme susciterait l'arrivée de nouvelles valeurs, ce que n'acceptaient pas les dadaïstes[4]. Le dada, absolu dans sa dénonciation, ne survit pas à une querelle relative à l'engagement, suscitée par la Révolution soviétique et le risque d'une nouvelle guerre et, en 1924, naît le surréalisme avec la publication du premier Manifeste du surréalisme d'André Breton, soucieux d'agir sur la société, sinon sur l'individu, sans tomber dans l'embrigadement. Dalí affirme d'ailleurs être sûr que le surréalisme « changerait le monde ». Étant lui-même un adepte opportuniste de ce mouvement, il sera une des incarnations des ambiguïtés de ce changement quand celui-ci prétend rester circonscrit au terrain culturel.

Influence de Marx et de Freud

Cette aventure (« une attitude inexorable de sédition et de défi ») passe en effet par l'appropriation de la pensée du poète Arthur Rimbaud (« changer la vie »), de celle du philosophe Karl Marx (« transformer le monde ») et des recherches de Sigmund Freud[5] : Breton s'est passionné pour les idées de Freud[6] qu'il a découvertes dans les ouvrages des Français Emmanuel Régis et Angelo Hesnard, en 1917[7]. Il en a retiré la conviction du lien profond unissant le monde réel et le monde sensible des rêves, et d'une forme de continuité entre l'état de veille et l'état de sommeil (voir en particulier l'écriture automatique). Dans l'esprit de Breton, l'analogie entre le rêveur et le poète, présente chez Baudelaire, est dépassée. Il considère le surréalisme comme une recherche de l'union du réel et l'imaginaire : « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue. »

Freud lui-même ressentit la plus grande méfiance envers les représentants du mouvement jusqu’à sa rencontre avec Salvador Dalí le . Dans une lettre à Stefan Zweig datée du lendemain, Freud avoue : « J’étais jusque-là enclin à considérer les surréalistes, qui semblent m’avoir choisi pour saint patron, comme des fous absolus (disons à 95% […]). » Mais il avait changé d’avis devant l’incroyable technique du peintre et l’intérêt analytique de l’œuvre qui lui avait été présentée[8].

Le surréalisme après la mort de Breton

En France, en 1966, la mort du poète André Breton, chef de file du groupe, va entraîner de grands soubresauts dans le surréalisme. Trois ans plus tard, Jean Schuster signa officiellement, dans le quotidien Le Monde, l’acte de décès du mouvement dans un article intitulé « Le Quatrième Chant »[9], mais la majorité des membres du groupe refuse cette décision brutale. Pour la plupart des surréalistes stupéfaits par la décision de Jean Schuster, celle-ci est fondée sur une manipulation politique dont l’origine se trouve dans l’engagement pro-cubain de Jean Schuster[10]. Jean-Louis Bédouin écrit un virulent article de protestation publié dans Le Monde du [11], Vincent Bounoure lance au sein du groupe l’enquête Rien ou quoi ? qui mettra en évidence l’écartèlement du groupe sur la question de la dissolution.

En plus de Jean-Louis Bédouin et Vincent Bounoure, Robert Benayoun, Jorge Camacho, Gherasim Luca, Marianne van Hirtum, Jacques Abeille, Ludwig Zeller (en) et d'autres vont refuser cette décision brutale et vont poursuivre l’aventure surréaliste. Dans le Bulletin de liaison surréaliste (10 numéros parus entre 1970 et 1976), dirigé par Jean-Louis Bédouin[12], puis dans les deux numéros de Surréalisme (janvier 1977, juin 1977)[13], on retrouve, entre autres, aux côtés de Vincent Bounoure, les noms de Michel Zimbacca, Joyce Mansour, Jorge Camacho, Michaël Löwy, Yves Elléouët. Après la mort de Vincent Bounoure en 1996, le Groupe de Paris du mouvement surréaliste, réuni autour de Michel Zimbacca, se dote jusqu’en 2005 de la revue S.U.R.R.[14]. L’activité du groupe parisien se poursuit aujourd’hui, notamment à travers des expositions collectives et une nouvelle revue, Alcheringa, dont le premier numéro a paru en 2019.

À côté de ce courant qui continue d’affirmer la présence surréaliste au-delà même de la dissolution officielle du mouvement, les anciens membres ayant accepté cette dissolution, autour de Gérard Legrand, José Pierre et Jean Schuster, publieront au début des années 1970 la revue Coupure. Mais certains des auteurs de Coupure s’opposeront à leur tour à Jean Schuster et José Pierre pour se retrouver autour de Radovan Ivšić et du jeune poète libertaire Pierre Peuchmaurd. Les rejoindront, entre autres, Jean Benoit, Georges Goldfayn, Gérard Legrand, Toyen et Annie Le Brun. Plus tard encore, un autre des derniers compagnons d’André Breton, Sarane Alexandrian, tout en considérant acquise la mort du surréalisme historique, constatant que rien n’est venu le remplacer, crée et anime la revue Supérieur inconnu (1996-2011), tentant lui aussi de fédérer les forces surréalistes en France (avec entre autres Alain Jouffroy, Jean-Dominique Rey, Christophe Dauphin, Basarab Nicolescu, Virgile Novarina ou Virginia Tentindo, laquelle a rejoint en 2013 le Groupe de Paris du mouvement surréaliste).

Parallèlement, dès les années 1970, paraissent des revues émanant de collectifs se situant ouvertement dans la lignée du surréalisme (Le Melog, La Crécelle noire, Camouflage) que fondent ou viennent rejoindre de plus jeunes recrues (Pierre Peuchmaurd, Alice Massénat ou Peter Wood). Le poète surréaliste irakien Abdul-Kader El Janabi anime divers groupes, et les éditions Arabie-sur-Seine qui publient des textes de Pierre Peuchmaurd, Jean-Pierre Le Goff, Karl Kraus, Theodor W. Adorno.

Il faut noter que dans les principaux autres pays marqués par le surréalisme (Royaume-Uni, États-Unis, Tchécoslovaquie notamment), les groupes surréalistes existants n’ont guère été touchés par la décision de Jean Schuster de 1969 et que des groupes surréalistes y ont continué leurs activités de façon ininterrompue, y compris, pour le cas de la Tchécoslovaquie (avec entre autres Vratislav Effenberger, Martin Stejskal, Jan Švankmajer, Eva Švankmajerová, Pavel Řezníček (en)), le groupe réapparu après le Printemps de Prague dans les conditions hostiles d'un pouvoir totalitaire censurant la vie intellectuelle[15].

André Breton

Le poète et écrivain français André Breton (1896-1966) fut le principal fondateur du surréalisme, le seul poète, avec Benjamin Péret, à avoir appartenu au mouvement depuis son origine et jusqu'à sa mort. En 1924, c'est lui qui pour la première fois décrit le surréalisme dans le premier Manifeste, puis, la même année, il contribue à la création du Bureau de recherches surréalistes. Louis Aragon, Robert Desnos, Paul Éluard, René Magritte, Giorgio De Chirico, Philippe Soupault, Marcel Duchamp, Salvador Dalí et Jacques Prévert sont quelques-uns des plus connus de ses camarades écrivains, poètes, peintres, artistes en somme. Nombre d'entre eux vont également adhérer au Parti communiste français pour soutenir leurs idées de révolution sociale : Breton rejoint le parti en 1927, mais n'assiste qu'à quelques réunions de cellule. Il en est exclu en 1933.

Étymologie

Yvan Goll, Surréalisme, Manifeste du surréalisme, Volume 1, Numéro 1, , couverture de Robert Delaunay

Le poète Arthur Rimbaud (1854-1891) voulait être un visionnaire (ou plus exactement « voyant »), se mettre en état de percevoir la face cachée des choses, une autre réalité. C'est en poursuivant les tentatives de Rimbaud que Guillaume Apollinaire (1880-1918) part à la recherche de cette réalité invisible et mystérieuse. Le substantif « surréalisme » apparaît pour la première fois en mars 1917 dans une lettre de Guillaume Apollinaire à Paul Dermée : « Tout bien examiné, je crois en effet qu'il vaut mieux adopter surréalisme que surnaturalisme que j'avais d'abord employé. Le mot “surréalisme” n'existe pas encore dans les dictionnaires, et il sera plus commode à manier que surnaturalisme déjà employé par MM. les Philosophes. » C'est le poète Pierre Albert-Birot qui suggéra à Apollinaire de sous-titrer la pièce que celui-ci était en train d'achever, Les Mamelles de Tirésias, « drame surréaliste » plutôt que « surnaturaliste »[16].

Le concept est divulgué par la plaquette de présentation qu'Apollinaire est chargé, par Serge Diaghilev, de rédiger pour la première de Parade, ballet réaliste en un tableau, le au théâtre du Châtelet, à Paris. Du spectacle total conçu par Jean Cocteau conjuguant « le premier orchestre d'Erik Satie, le premier décor de Pablo Picasso, les premières chorégraphies cubistes de Léonide Massine, et le premier essai pour un poète de s'exprimer sans paroles », où « la collaboration a été si étroite que le rôle de chacun épouse celui de l'autre sans empiéter sur lui »[17], il explique :

« De cette alliance nouvelle, […] il est résulté dans Parade, une sorte de sur-réalisme où je vois le point de départ d'une série de manifestations de cet esprit nouveau qui, trouvant aujourd'hui l'occasion de se montrer, ne manquera pas de séduire l'élite et se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs dans l'allégresse universelle, car le bon sens veut qu'ils soient au moins à la hauteur des progrès scientifiques et industriels. Jean Cocteau appelle un ballet réaliste. Les décors et les costumes cubistes de Picasso témoignent du réalisme de son art. Ce réalisme, ou ce cubisme, comme on voudra, est ce qui a le plus profondément agité les arts durant les dix dernières années. »

— G. Apollinaire, Parade et l'esprit nouveau, in Programme des Ballets russes, Paris, mai 1917[18]

Ainsi, Apollinaire entend théoriser le sursaut poétique provoqué par la Première Guerre mondiale[19] par lequel Jean Cocteau, comme quatre ans plus tard dans le spectacle des Mariés de la Tour Eiffel, dédouble la représentation « réaliste » du quotidien bourgeois du spectateur par celle de la fantaisie inhumaine[20] et rêvée de personnages-machines. Dans ce manifeste se trouve déjà tout ce que ses détracteurs trouveront à reprocher au surréalisme : rupture avec tout traditionalisme, élitisme, modernité, c'est-à-dire progrès scientifique et, à l'instar des futuristes, industrialisme.

Dans une chronique de consacrée au même ballet, Apollinaire, admiratif des décors créés par Picasso, revient sur le concept d'« […] une sorte de “sur-réalisme” où [il] voit le point de départ d'une série de manifestations de cet esprit nouveau qui […] se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs […] Cette tâche “surréaliste” que Picasso a accomplie en peinture, […] je m'efforce de l'accomplir dans les lettres et dans les âmes […] »[21]. Dans une lettre du adressée à Théodore Fraenkel, Jacques Vaché annonce la première des Mamelles de Tirésias pour le 24 : « […] et j'espère être à Paris […] pour la représentation surréaliste de Guillaume Apollinaire »[22].

Pour Gérard Durozoi, le mot surréalisme est « désormais […] victime de sa fausse popularité : on n'hésite pas à qualifier de surréaliste le premier fait un peu bizarre ou inhabituel, sans davantage se soucier de rigueur. Le surréalisme […] est pourtant exemplaire par sa cohérence et la constance de ses exigences »[23]. Cependant, Alain et Odette Virmaux pensent que cette « évolution sémantique n'est pas du tout déviante » et qu'elle « reste en accord avec le mot […], les surréalistes ayant “une prédilection pour l'humour noir et le nonsense” »[24].

Influence internationale

« Lunar Bird » (L'oiseau lunaire), Sculpture de Joan Miró.

Le surréalisme connaît une fortune particulière dans la littérature francophone belge. Paul Nougé, dont la poésie présente un aspect ludique très marqué, fonde en 1924 un centre surréaliste à Bruxelles avec entre autres les poètes Camille Goemans et Marcel Lecomte. Un autre groupe important, Rupture, se crée en 1932, à La Louvière, autour de la personnalité d'Achille Chavée.

Le surréalisme belge prend ses distances à l'égard de l'écriture automatique et de l'engagement politique du groupe parisien. L'écrivain et collagiste E. L. T. Mesens fut l'ami de René Magritte. Les poètes Paul Colinet, Louis Scutenaire et André Souris et, plus tard, Marcel Mariën appartiennent également à ce courant. La francophonie d'outre-mer trouvera notamment en Jean Venturini, poète franco-marocain révolté et rimbaldien, un porte-parole original et indépendant, mort trop tôt pour donner sa pleine mesure[25], et auquel le poète Max-Pol Fouchet rendra un hommage fort[26].

Le surréalisme exercera une action stimulante sur le développement de la poésie espagnole, mais à la fin des années 1920 seulement, et en dépit de la méfiance suscitée par l'irrationalisme inhérent à la notion d'écriture automatique. Ramón Gómez de la Serna définit ses rapprochements insolites, greguerias, comme « humour + métaphore ». Le courant « ultraïste » déterminera un changement de ton chez les poètes de la « Génération de 27 », Federico García Lorca, Rafael Alberti, Vicente Aleixandre et Luis Cernuda. Les principes surréalistes se retrouvent en Scandinavie et en URSS. Le « poétisme » tchèque peut être considéré comme une première phase du surréalisme. Il s'affirme dès 1924 avec un manifeste publié par Karel Teige, qui conçoit la poésie comme une création intégrale, donnant libre cours à l'imagination et au sens ludique. Ses représentants les plus éminents furent Jaroslav Seifert et surtout Vítězslav Nezval, dont Soupault souligna l'audace des images et symboles. Le mouvement surréaliste yougoslave entretient d'étroits contacts avec le courant français grâce à Marko Ristić (en).

En dépit d'une perte de prestige à partir de 1940, le surréalisme a existé comme groupe jusqu'aux années 1960, en se renouvelant au fur et à mesure des départs et des exclusions. Le surréalisme fut également revendiqué comme source d'inspiration par l'Alternative orange, un groupe artistique d'opposition polonais, dont le fondateur, le Major (Commandant) Waldemar Fydrych, avait proclamé Le Manifeste du surréalisme socialiste. Ce groupe, qui organisait des happenings, peignait des graffiti absurdes en forme de lutins sur les murs des villes et était un des éléments les plus pittoresques de l’opposition polonaise au communisme, utilisait largement l’esthétique surréaliste dans sa terminologie et dans la place donnée à l’acte spontané.

Le surréalisme japonais est représenté par Junzaburō Nishiwaki (1894-1982), Shūzō Takiguchi (1903-1979), Katsue Kitazono (1902-1978). Parmi les peintres : Harue Koga (1895-1933), Ichirô Fukuzawa (de) (1898-1992), Noboru Kitawaki (1901-1951), ou encore le photographe et poète Kansuke Yamamoto (1914-1987). Quant aux romanciers, les œuvres les plus marquantes nous ont été laissées par Kōbō Abe (1924-1993). Concernant les mangas, une brèche fut ouverte à la possibilité d'emploi de tournures surréalistes avec l'œuvre Nejishiki (ねじ式) de Yoshiharu Tsuge (publiée dans le numéro de juin du magazine Garo, en 1968), puis le secteur put obtenir un appui écrasant de la génération du Zenkyōtō (équivalent de Mai 68), sous l'influence considérable d'artistes et de nombreux intellectuels non initiés à ce type d'œuvre. Le surréalisme japonais ne s'inscrit pas dans la continuité du dadaïsme. Au Japon, la quasi-totalité des écrivains appartenant au mouvement dadaïste (groupe d'écrivains faisant partie du MAVO) ne sont pas devenus surréalistes, et inversement, la plupart des surréalistes japonais n'œuvrent pas en tant que dadaïstes.

Il appartenait à l'écrivain majeur de la Bolivie au XXe siècle, Jaime Sáenz, de porter le flambeau du surréalisme en Amérique latine, plus d'ailleurs en héritier libre et indépendant qu'en sectateur fanatique[27].

Techniques d'écriture surréalistes

Les surréalistes cherchent à libérer l'inconscient. Pour ce faire, ils utilisent les diverses techniques ci-dessous.

L'écriture automatique

L'écriture automatique est un mode d'écriture cherchant à échapper aux contraintes de la logique, elle laisse s'exprimer la voix intérieure inconsciente, dévie l'inconscient de la pensée. Il s'agit d'écrire ce qui vient à l'esprit, sans se préoccuper du sens.

Définition de l'écriture automatique

Définition de l'écriture automatique par André Breton dans Manifeste du surréalisme (1924) :

"Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale."

André Breton, (1896 / 1966), extrait du Manifeste du Surréalisme (page 328 du tome 1 des œuvres complètes de l'édition de La Pléiade), en 1924.

« Secrets de l'Art magique surréaliste. Composition surréaliste écrite, ou premier et dernier jet. Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l'état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Ecrivez-vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas vous retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu'à chaque seconde il est une phrase, étrangère à notre pensée consciente, qui ne demande qu'à s'extérioriser ..."

André Breton, (1896 / 1966), extrait du Manifeste du Surréalisme (pages 331-332 du tome 1 des œuvres complètes de l'édition La Pléiade), en 1924.

Par l'écriture automatique, les surréalistes ont voulu donner une voix aux désirs profonds, refoulés par la société. L'objet surréaliste ainsi obtenu a d'abord pour effet de déconcerter l'esprit, donc de « le mettre en son tort ». Peut se produire alors la résurgence des forces profondes : l'esprit « revit avec exaltation la meilleure part de son enfance ». On saisit de tout son être la liaison qui unit les objets les plus opposés, l'image surréaliste authentiquement est un symbole. Approfondissant la pensée de Baudelaire, André Breton compare, dans Arcane 17, la démarche du surréalisme et celle de l'ésotérisme : elle offre « l'immense intérêt de maintenir à l'état dynamique le système de comparaison, ce champ illimité, dont dispose l'homme, qui lui livre les rapports susceptibles de relier les objets en apparence les plus éloignés et lui découvre partiellement le symbolisme universel ».

Écriture sexualisée

L'écriture sexualisée : d'après certains surréalistes comme André Breton, le moment de l'acte sexuel correspond à un moment où nos pulsions nous dominent. Dès lors, nos désirs profonds se révèlent, et ces instants peuvent être combinés à une pratique artistique désinhibée. Breton écrivait alors qu'il faisait l'amour et pensait que ses meilleures œuvres étaient le fruit de ces moments.

Récit de rêve et "cadavre exquis"

Les récits et les analyses de rêves consistent à décrire ses rêves et à trouver le « fil conducteur » qui les relie à la réalité. Des jeux d'écriture collectifs faisant intervenir le hasard sont également pratiqués ; le cadavre exquis en est un. Dans ce jeu, tous les participants écrivent tour à tour une partie de phrase sur une feuille sans connaître ce que les personnes précédentes ont marqué. L'ordre syntaxique nom-adjectif-verbe-COD-adjectif doit être respecté : on obtient ainsi une phrase grammaticalement correcte. Le nom de « cadavre exquis » vient de la première phrase obtenue de cette manière : « Le cadavre — exquis — boira — le vin — nouveau ». Enfin, pendant les séances de sommeil hypnotique, les participants notent leurs délires et hallucinations parfois provoqués par prise de drogues ou d'alcool.

Méthode paranoïaque-critique

À l'opposé des techniques automatiques, se trouve la méthode paranoïaque-critique, « une méthode spontanée de connaissance irrationnelle, basée sur l’objectivation critique et systématique des associations et interprétations délirantes ». Patrice Schmitt[28], à propos d'une rencontre entre Dalí et Lacan, nota que « la paranoïa selon Dalí est aux antipodes de l'hallucination par son caractère actif[28] ». Elle est à la fois méthodique et critique[28]. Elle a un sens précis et une dimension phénoménologique et s'oppose à l'automatique, dont l'exemple le plus connu est le cadavre exquis[28]. Faisant le parallèle avec les théories de Lacan, il conclut que le phénomène paranoïaque est de type pseudo-hallucinatoire[29]. Les techniques d'images doubles sur lesquelles Dalí travaillait depuis Cadaqués (L'Homme invisible, 1929) étaient particulièrement propres à révéler le fait paranoïaque[29].

Changement humain et sociétal

Le mouvement dada était antibourgeois, antinationaliste et provocateur. Les surréalistes continuèrent sur cette lancée subversive. « Nous n'acceptons pas les lois de l'Économie ou de l'Échange, nous n'acceptons pas l'esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l'Histoire. » (tract La Révolution d'abord et toujours). Ces principes débouchent sur l'engagement politique : certains écrivains surréalistes adhèrent, temporairement, au Parti communiste français.

Aucun parti cependant ne répondait exactement aux aspirations des surréalistes, ce qui fut à l'origine de tensions avec le Parti communiste français. André Breton dénonce en 1924 « l'ignoble mot d’engagement qui sue une servilité dont la poésie et l'art ont horreur ». Dès 1930, pourtant, Louis Aragon soumet son activité littéraire « à la discipline et au contrôle du parti communiste ». La guerre fit que Tristan Tzara et Paul Éluard le suivirent dans cette voie.

Condamnation de l'exploitation de l'homme par l'homme, du militarisme, de l'oppression coloniale, des prêtres pour leur œuvre qu'ils jugent obscurantiste et bientôt du nazisme ; volonté d'une révolution sociale et plus tard d'une dénonciation du totalitarisme de l'Union soviétique, tels sont les thèmes d'une lutte que, de la guerre du Maroc à la guerre d'Algérie, les surréalistes ont menée inlassablement. Ils ont tenté la synthèse du matérialisme historique et de l'occultisme, en se situant au carrefour de l'anarchisme et du marxisme, fermement opposés à tous les fascismes et aux religions.

Personnalités

Bibliographie

(ordre alphabétique)

  • Paul Aron, Jean-Pierre Bertrand, Les 100 Mots du surréalisme, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2010 (ISBN 978-2-13-058220-5).
  • Philippe Audoin, Les Surréalistes, Paris, Le Seuil, collection microcosme « Écrivains de toujours », 1973.
  • Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le rêve, Paris, Gallimard, 1974.
  • Martine Antle, Cultures du surréalisme, les représentations de l'autre, Châtenay-Malabry, Acoria, 2007.
  • Quentin Bajac, Clément Chéroux (dir.), La Subversion des images. Surréalisme, photographie, film, catalogue d'exposition, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2009.
  • Jean-Louis Bédouin, Anthologie de la poésie surréaliste, Paris, Seghers, 1983.
  • Henri Béhar, Étude sur le théâtre dada et surréaliste, Paris, Gallimard, coll. « Les Essais », 1967 ; nouvelle édition revue et augmentée : Le Théâtre dada et surréaliste, Paris, Gallimard, coll. « Idées/Gallimard », 1979.
  • Henri Béhar et Michel Carassou, Le Surréalisme, textes et débats, Paris, Hachette, 1984, réédité au Livre de poche en 1992.
  • Henri Béhar, Le Surréalisme dans la presse de gauche (1924-1939), Paris, éditions Paris-Méditerranée, 2002.
  • Henri Béhar (dir.), Guide du Paris surréaliste, Paris, Éditions du patrimoine, coll. « Guides de Paris », 2012.
  • Adam Biro et René Passeron, Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, Coédition Office du livre, Fribourg (Suisse) et Paris, Presses universitaires de France, 1982. Une somme sur les artistes, les œuvres, les mouvements, les revues, etc.
  • Marguerite Bonnet, André Breton. Naissance du surréalisme, Paris, José Corti, 1975, éd. revue et corrigée, Paris, José Corti, 1988 (ISBN 978-2-7143-0263-2).
  • André Breton, Manifestes du surréalisme (1924 et 1930), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1998.
  • André Breton, Le Surréalisme et la Peinture, Paris, Gallimard, 1928-1965.
  • André Breton, L’Amour fou (1937), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2003.
  • André Breton et Paul Éluard, Dictionnaire abrégé du surréalisme (1938), Paris, José Corti, 1991.
  • Xavier Canonne, Le Surréalisme en Belgique. 1924-2000, Arles, Actes Sud, 2007.
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  • Jean-Paul Clébert, Dictionnaire du surréalisme, Paris, Éditions du Seuil & Chamalières, A.T.P., 1996.
  • Tania Collani, Le Merveilleux dans la prose surréaliste européenne, Paris, Éditions Hermann, 2010.
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  • Gérard de Cortanze, Le Monde du surréalisme, Bruxelles, éd. Complexe, 2005.
  • Pierre Daix, La Vie quotidienne des surréalistes (1917-1932), Paris, éditions Hachette, 1993.
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  • Gérard Durozoi, Le Surréalisme, Paris, Hazan, 2002.
  • Gérard Durozoi, Histoire du mouvement surréaliste, Paris, Hazan, 2004.
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  • Serge Fauchereau, Avant-gardes du XXe siècle, arts et littérature, 1905-1930, Paris, Flammarion, 2016, (ISBN 978-2-0813-9041-6) (pp. 316-362)
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Notes et références

  1. André Breton cité par Jacques Michon, « Surréalisme et modernité », Études françaises, volume 11, numéro 2, mai 1975, p. 121 (lire en ligne).
  2. André Breton, « Manifeste du surréalisme », in Œuvres complètes, tome 1, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1924, Paris, 1987, p. 328.
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  4. Roselee Goldberg (trad. de l'anglais), La Performance. Du futurisme à nos jours, Chapitre 4 Le surréalisme. De dada au surréalisme, Thames & Hudson, coll. « L'Univers de l'art » (no 89), , 256 p. (ISBN 978-2-87811-380-8)
  5. Jean-Bertrand Pontalis, « Les vases non communicants. Le malentendu André Breton-Freud », in Sigmund Freud House Bulletin, vol. 2, no 1, Vienne, 1978 (texte déjà paru dans la Nouvelle Revue française, après une conférence du 24 novembre 1977).
  6. Article en ligne de Pontalis.
  7. Mark Polizzotti, André Breton, Gallimard, 1995, p. 62.
  8. Sigmund Freud et Stefan Zweig, Correspondance, Paris, Editions Rivages, , 142 p. (ISBN 978-2-86930-965-4), p. 128
  9. lemonde.fr
  10. Alain Joubert, Le Mouvement des surréalistes ou le fin mot de l’histoire. Mort d’un groupe – naissance d’un mythe, Paris, Éditions Maurice Nadeau, (ISBN 2-86231-173-1)
  11. lemonde.fr
  12. www.revues-litteraires.com
  13. revues-litteraires.com
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  16. Jean-Paul Clébert, Dictionnaire du surréalisme, p. 17, A.T.P. et Le Seuil, Chamalières, 1996.
  17. Jean Cocteau, in L'Excelsior, Paris, 18 mai 1917, reproduit in F. Steegmuller, trad. M. Jossua, Cocteau: A Biography, p. 140, Buchet-Chastel, Paris, 1973.
  18. A. Fermigier, Entre Picasso et Radiguet, p. 69-70, Hermann, Paris, 1967.
  19. Jean Cocteau, cité in F. Steegmuller, Cocteau: A Biography, op. cit., p. 122.
  20. J. Cocteau, Le Coq et l'Arlequin, Stock Musique, Paris, 1979, p. 101.
  21. Cité dans La Quinzaine littéraire, no 977, 1er octobre 2008, p. 16.
  22. Jacques Vaché, Lettres de guerre, éd. Mille et une nuits, 2001, p. 30.
  23. Op. cit., p. 5.
  24. Les Grandes Figures du surréalisme international, Paris, Bordas, 1994, p. 9.
  25. Cf. Pierre Seghers, Le Livre d'or de la poésie française, Paris, Éditions Marabout, 1998, p. 451.
  26. Max-Pol Fouchet, article dans la revue Fontaine, août-septembre 1940, cité in Monographie de Jean Venturini.
  27. Voir par exemple la Page d'accueil sur Jaime Sáenz.
  28. Descharnes et Néret 2001-2007, p. 303.
  29. Descharnes et Néret 2001-2007, p. 304.

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