Protestantisme libéral

Le temple protestant de l'Oratoire du Louvre, à Paris, paroisse du courant libéral depuis 1811

Le protestantisme libéral est un courant du protestantisme qui met l'accent sur la lecture critique des textes bibliques et « le souci de se « libérer » des contraintes du dogme et de l’institution, ainsi que des pesanteurs sociologiques qui, fatalement, ont tendance à les figer et à les rigidifier »[1].

Il naît de la lignée théologique qui part de Friedrich Schleiermacher (1768-1834) et Adolf von Harnack (1851-1930), et en particulier de la révolution exégétique du XIXe siècle, où Albrecht Ritschl (1822-1889) et Ernst Troeltsch (1865-1923) s'illustrèrent dans le renouvellement de la lecture de la Bible.

Parmi ses représentants en France, on compte Charles Wagner, Wilfred Monod, André Gounelle, l'Oratoire du Louvre ou le Foyer de l'Âme.

Origines

Les écrits de plusieurs théologiens ont préparé le mouvement libéral[2]

  • Heinrich Paulus pour Das Leben Jesu als Grundlage einer reinen Geschichte des Urchristentums, en 1828.
  • David Strauss Le Christ de la foi et le Jésus de l'histoire, en 1865
  • Ferdinand Christian Baur pour Kritische Untersuchungen über die kanonischen Evangelien, ihr Verhältniss zu einander, ihren Charakter und Ursprung, en 1847

La liberté d'expression naît à la suite de la publication des ouvrages signalés ci-dessus mais dont les sources intègrent des courants de pensée autochtones issus de la philosophie des Lumières et de l'Encyclopédie, et parfois, remontant à la Réforme.

Caractéristiques

En se distinguant par sa volonté de sortir des dogmes et de la lecture littérale des textes, le protestantisme libéral critique les régulations orthodoxes des croyances et des pratiques, les appareils ecclésiastiques et leur pouvoir normatif. Il confesse volontiers l'universalité du salut du fait d'une perception plutôt optimiste de l'homme et de la civilisation.

La Bible est considérée comme pouvant être relue et interprétée en fonction des époques ; le protestantisme libéral s'est ainsi démarqué par son soutien à la bénédiction des unions homosexuelles[3] ou au droit à l'avortement[4].

Il soutient le dialogue interreligieux et du pluralisme, ainsi que du dialogue de la religion avec la culture. Ses représentants sont généralement impliqués dans l’œcuménisme, avec une ouverture aux autres confessions, y compris dans les cultes[5].

Son rejet du dogmatisme et de son imposition par des institutions en fait aussi un défenseur de la laïcité : l'une des premières théories de la séparation de l'Église et de l'État fut formulée dans le livre de Sébastien Castellion Contre le Libelle de Monsieur Calvin puis reformulée par Alexandre Vinet quand il était en Belgique. Il a été en France un des artisans de la loi de 1905, avec Wilfred Monod, Athanase Coquerel, tandis que Félix Pécaut, Charles Wagner et Ferdinand Buisson intervenaient dans la construction de l'école laïque.

Par pays

En Suisse

Ésaïe Gasc (1748-1813)

Ésaïe Gasc est genevois. Nommé professeur à la faculté de théologie protestante de Montauban en 1809, il prend ses fonctions en 1810. Il appartient à la première génération de professeurs de la Faculté de théologie protestante de Montauban [6], ouverte sur décision de Napoléon en 1809. Sa réfutation du dogme trinitaire provoquent des controverses, il est attaqué par des pasteurs protestants du Midi, et par Daniel Encontre, qui prendra sa succession à Montauban. .

« Il y a longtemps, enseignait-il à ses étudiants, que les théologiens n'occupent plus le public de leurs discussions sur la Trinité. Les plus sages d'entre eux ont enfin compris que, puisque après quatorze ou quinze siècles de débats, on n'était pas plus près de s'entendre qu'on ne l'était à l'époque où la dispute s'engagea, il fallait que ce dogme ne fût pas clairement enseigné dans l'Écriture sainte, et que par conséquent il n'intéressait pas le salut des Chrétiens […] Ceux qui s'intéressent véritablement à l'honneur du christianisme verraient avec anxiété recommencer un procès qui a causé dans l'Église plus de scandale que d'instruction. »

— Extrait de Bernard Reymond, La théologie libérale dans le protestantisme de Suisse romande - Évangile et Liberté.

Jean-Jacques Caton Chenevière (1783-1871)

« Pasteur et professeur genevois, il reste attaché toute sa vie à l'idée que les textes bibliques étaient dotés d'un caractère plus ou moins surnaturel. Ainsi n'a-t-il pas compris, dès 1850, combien la liberté protestante d'examen devait aussi s'appliquer à l'étude historique de ces textes. [...] Sa liberté d'examen, en d'autres termes, s'est appliquée aux doctrines et à de nombreux aspects de la tradition chrétienne, mais elle n'a jamais porté sur les textes bibliques eux-mêmes. L'un de ses arguments favoris a au contraire été d'opposer des arguments d'origine biblique aux doctrines qu'il jugeait nécessaire d'abandonner. Mais cette attitude n'avait rien de rétrograde dans la première moitié du siècle dernier ; elle était même fort répandue parmi les libéraux francophones du moment. »

— Extrait de Bernard Reymond, La théologie libérale dans le protestantisme de Suisse romande, Évangile et Liberté.

  • six Essais théologiques (1831) : le premier de ces Essais s'en prenait au « système théologique de la trinité ». Le quatrième portait l'un sur la notion de rédemption, ce qui était l'occasion de remettre en cause le dogme de la divinité de Jésus. Voir l'article de Marc Chenevière dans le colloque Genève protestante en 1831

Théologiens et pasteurs :

En Allemagne

Le courant assume l'héritage du passé et affronte le défi de la théologie dialectique.

  • 30 sept 1863, fondation à Francfort du Deutsche Protestantverein, qui se donne pour objet "la rénovation de l'Église protestante conformément à l'esprit de liberté évangélique et l'évolution culturelle de notre temps".
  • 1887 fondation du journal luthérien Die Christliche Welt qui voulait se faire l'écho des trois grands courants théologiques présents en Allemagne :
    • l'orthodoxie d'Erlangen,
    • le protestantisme traditionaliste de Halle,
    • le protestantisme libéral de Tübingen.

Son directeur est Martin Rabe, un ami de Adolf von Harnack ; le journal devient vite le porte-parole du seul protestantisme libéral. Ses mots d'ordres sont contre le cléricalisme et le dogmatisme, pour la liberté de conscience et de recherche, pour la promotion d'un protestantisme largement ouvert aux problématiques du monde moderne, e.g., la désaffection des masses populaires et le progrès de la libre-pensée socialiste. Dans une conférence sur "la situation présente du protestantisme", Harnack déclare : "La vieille foi évangélique doit donc être formulée dans un langage nouveau et simple, celui de notre temps"

Le piège nationaliste

Dans la critique tendancieuse qui en a été faite, on doit citer des thèses comme celle-ci : À force de s'imprégner de la modernité, la théologie s'immerge dans l'esprit du temps. C'est le Kulturprotestantismus qui se laisse gagner, comme le traditionalisme luthérien par une foi de guerre. En , le manifeste des 92 intellectuels allemands soutenant la politique belliciste de Guillaume II est signé par Harnack et quelques autres théologiens libéraux.

Karl Barth (1886-1968) y découvre quasiment le nom de tous ses maîtres et déclare que la théologie du XIXe siècle n'a plus d'avenir. La théologie dialectique est une théologie de crise en rupture avec la théologie libérale au point de fonder une nouvelle orthodoxie. En 1934, Barth et Niemöller sont les principaux rédacteurs de la déclaration de Barmen, celle de l'Église confessante, i.e. la minorité protestante qui va résister au nazisme. La majorité conservatrice, celle qui décide de soutenir le nazisme, est illustrée par Sigrid Hunke.

Aux lendemains de la guerre, Barth met en cause la théologie libérale, à ses yeux compromise et, de ce fait, disqualifiée. Auréolé de sa Résistance, le barthisme prend le pouvoir dans les instances ecclésiastiques et étouffe le courant libéral. C'est ce que montre Jean Baubérot dans son étude Émergence d'une orthodoxie nouvelle au XXe siècle (1991).

Bernard Reymond, théologien suisse de Lausanne dénonce l'interprétation barthienne qui met en cause la théologie libérale dans son attitude face au nazisme, dans son ouvrage "Une église à croix gammée ? Le protestantisme allemand au début du nazisme" (1980) :

"loin d'être le repaire des théologiens libéraux, le mouvement des chrétiens-allemands n'en a probablement compté qu'un seul dans ses rangs ; en revanche, on y rencontrait nombre de chrétiens orthodoxes, tandis que plusieurs théologiens libéraux et non des moindres (ainsi Hans von Solen) rejoignirent l'Église Confessante'"'

Selon cet auteur, Karl Barth a mis entre parenthèses :

  • les conditions culturelles d'élaboration de son message,
  • la plausibilité culturelle du message chrétien.

Petit à petit, ces questions proprement libérales reprennent de l'influence et, si l'on entend moins parler, c'est qu'elles ont imprégné tous les courants théologiques parmi lesquels les post-barthiens, dont certains compagnons de route du théologien, qui lui-même choisit de finir sa carrière éditoriale par des textes à proprement parler libéraux : Parole de Dieu, parole humaine, et une œuvre inachevée : la création artistique, réponse de l'homme à la création du monde par Dieu.

De nos jours

Le protestantisme libéral allemand s'exprime dans un bimestriel « Freies Christentum. Auf der Suche nach neuen Wegen » ([fr] : Libre christianisme ; à la recherche de nouvelles voies).

En France

Ce courant a existé tout au long du XIXe siècle. Parmi ses hérauts furent Timothée Colani et Antoine Colani (orateur remarqué au Synode de 1872), et plus connu Félix Pécaut, l'un des proches de Ferdinand Buisson, fondateur du Parti Radical. Tous deux furent particulièrement actifs dans la fondation de l'école laïque et les prémices du mouvement féministe. De façon significative, Félix Pécaut, après un bref passage dans le ministère pastoral qu'il quitte avant son ordination du fait de son refus de lire le Symbole des apôtres, oscillera entre deux étiquettes : celle de protestant libéral, mais aussi celle de théiste chrétien.

Le courant théologique libéral fut également développé dès 1872 en France par Charles Wagner, pasteur d'origine luthérienne, fondateur du Foyer de l'Âme en 1907, qui insiste sur la liberté de la foi individuelle, et la supériorité de celle-ci sur les doctrines des Églises. Il refuse le principe des confessions de foi et des symboliques à portée institutionnelle ou universelle. Il se méfie de la ritualité et accorde une importance secondaire aux sacrements.

En France, le protestantisme libéral se caractérise assez bien par cette réflexion du pasteur Charles Wagner, de l'École de Strasbourg, qui a une incidence sur ses choix théologiques : « Je me méfie de la foi de ceux qui ne respectent pas la foi des autres. »

On peut les résumer de la façon suivante :

  • la vocation de la foi chrétienne à mener à la liberté porte ombrage au pouvoir des Églises et à l'efficacité de leurs sacrements ;
  • Dieu est Dieu et il est le seul Dieu, ce qui remet en cause la trinité et la divinité de Jésus. C'est l'affirmation des églises unitariennes ;
  • Jésus sauve mais par un sacrifice qui n'est que moral et symbolique (pas de religion sacrificielle au sens sacramentel) ;
  • les Églises sont nécessaires au niveau des moyens et non de la finalité ; le spirituel doit l’emporter sur le rite. « L'Église a pour mission essentielle d'offrir un milieu ouvert où l'on puisse trouver une énergie spirituelle. Quand l'Église donne dans la superstition de la lettre, elle se disqualifie » Henry Babel (Théologie de l'énergie, la Baconnière, 1967).

Le protestantisme libéral n'est pas surgi inopinément du protestantisme au XIXe siècle ; il représente la version contemporaine d'une contestation qui, sous des formes historiques ou culturelles différentes a marqué chaque âge de la foi chrétienne.

De nos jours à Paris, ce courant s'exprime particulièrement au sein des paroisses sœurs de l'Oratoire du Louvre dans le 1er arrondissement et du Foyer de l'Âme dans le 11e arrondissement.

L'École de Paris

Louis-Auguste Sabatier insiste sur le caractère symbolique des croyances tandis que Eugène Ménégoz définit l'école symbolo-fidéiste :

« la foi indépendamment des croyances mais pas sans les croyances ».

Les doctrines sont toujours indicatives, approximatives, destinées à la caducité.

« Beaucoup de gens sont scandalisés à l'idée que le Jésus historique puisse être considéré comme capable d'erreur parce que le Royaume surnaturel de Dieu dont il annonçait la venue ne s'est pas manifesté… Lui-même n'a jamais prétendu à cette omniscience. »

  • Wilfred Monod (1867-1937)
  • André-Numa Bertrand (1876-1946)
  • Albert Réville
  • Jean Réville
  • Georges Marchal
  • Élie Lauriol

L'une des réalisations les plus remarquables de l'École de Paris consiste à avoir profité du repli de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg à Paris pour fonder la Faculté libre de théologie protestante de Paris avec une formation commune pour les pasteurs luthériens et les pasteurs réformés dès 1873.

La laïcité

Des personnalités telles que Ferdinand Buisson et Félix Pécaut ont joué un rôle central par leur volonté de créer une religion moderne, laïque, certes d'inspiration protestante, mais ouverte à toutes les voies spirituelles.

En Belgique

L'église protestante de Bruxelles (Chapelle royale), paroisse du courant libéral depuis 1803

En Grande-Bretagne

  • le débat autour Honest to God de John Arthur Thomas Robinson, évêque de Woolwitch
  • le débat autour du Guide to debate about God de David Edward Jenkins

Aux États-Unis

Le débat (entre autres) autour du théisme par l'évêque épiscopalien J. S. Spong et ses nombreux ouvrages, dont : Pour un christianisme d'avenir (Traduction de l'américain aux éditions Karthala 2019).

Notes et références

  1. Courant libéral, Foyer de l'âme
  2. The Editors of Encyclopaedia Britannica, Theological liberalism, britannica.com, USA, consulté le 8 juin 2021
  3. Bénédiction des couples homos protestants: "Ça me semble naturel", BFMTV
  4. Michael McGough, A Field Guide to the Culture Wars : The Battle Over Values from the Campaign Trail to the Classroom, ABC-CLIO, USA, 2008, p. 6
  5. Moïse maître en communication, Prédication de Rabbin Delphine Horvilleur
  6. André Gounelle, La Faculté de théologie protestante de Montauban.

Bibliographie

  • Jean Baubérot, « Protestantisme français et vision libérale de la religion », dans Alain Dierkens (éd.), Problèmes d'histoire des religions, vol. 3 : Le Libéralisme religieux, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, (lire en ligne), p. 41-50.
  • Patrick Cabanel, Le Dieu de la République.
  • Hervé Hasquin, « Alexandre Vinet, la Belgique et la genèse du concept de séparation de l'Église et de l'État (1824-1831) », dans Alain Dierkens (éd.), Problèmes d'histoire des religions, vol. 3 : Le Libéralisme religieux, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, (lire en ligne), p. 15-29.
  • Félix Pécaut. De l'avenir du théisme chrétien considéré comme religion, rééd. Théolib 2007
  • Pierre-Jean Ruff, Le protestantisme libéral, Nouvelle édition : Théolib 2005.
  • Pierre-Yves Ruff, "Le Parti-pris du Livre".
  • Charles Wagner, "l'Évangile et la Vie".
  • Marie-Claire Weber-Lefeuvre, Étude des Évangiles. Suivi de Les Évangiles et l'écologie, L'Harmattan 2006 - collection « Chrétiens autrement ».
  • Marie-Claire Weber-Lefeuvre, Interroger sa foi. Du calvinisme au judéo-christianisme libéral, Préface de P. J. Ruff., Edilivre 2013 - 261 p.- (ISBN 978-2-332-53824-6)
  • Jean-Paul Willaime, « Le Protestantisme libéral en Allemagne de l'après-guerre à nos jours », dans Alain Dierkens (éd.), Problèmes d'histoire des religions, vol. 3 : Le Libéralisme religieux, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, (lire en ligne), p. 51-64.

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