Vote par valeurs

Le vote par valeurs est un système de vote, ou plus exactement une famille de systèmes. Le principe consiste à ce que chaque électeur associe une valeur à chaque option de vote.

Contrairement aux systèmes de vote par classement (Méthode Condorcet, Méthode Borda, ...), le vote par valeurs est encore aujourd'hui relativement peu exploré. Mais des chercheurs et des associations exposent et militent pour son adoption au motif que de tels systèmes résoudraient certains paradoxes des systèmes par classement [1],[2],[3].

Le conseil d'administration de Wikimedia[4] ainsi que le comité d'arbitrage de Wikipedia en anglais[5] utilisent pour leurs élections une échelle à trois niveaux ("Supporte", "Neutre", "Oppose") et décomptent les voix en traitant "Neutre" comme une abstention.

Le vote par valeurs peut aussi être utilisé pour obtenir un classement.

Variantes des votes par valeurs

Plage de valeurs et association sémantique

Un système de vote par valeurs se définit en premier lieu par l'échelle de valeurs proposée aux électeurs pour chaque option de vote.

  • L'échelle peut être simplement exprimée numériquement sur une plage de valeur allant par exemple de -5 à +5, ou de 0 à 100.
  • L'échelle peut aussi être exprimée symboliquement ou sémantiquement. L'échelle est alors ramenée à un nombre de 5 voire 7 valeurs ; par exemple : À rejeter, Insuffisant, Passable, Assez Bien, Bien, Très Bien, Excellent.
  • L'échelle peut comporter simplement deux valeurs (oui/non). On parle alors de vote par approbation.

Modes de calcul des résultats

Il existe plusieurs modes de calculs pour déterminer le résultat de l'élection :

  • La méthode de la somme consiste à additionner les valeurs attribuées par les électeurs à chaque option. L'option retenue est celle qui a obtenu le plus de points. On parle alors souvent de vote par note[6], et en anglais de range voting (en). Cette méthode a l'avantage d'être très simple et ne nécessite pas de moyens électroniques pour aboutir au résultat. Elle peut cependant être sensible aux votes stratégiques. Cette méthode est couramment utilisée dans les jurys et les compétitions et doit être adaptée à ce cadre. Le vote par évaluation peut être considéré comme appartenant à la famille des votes pondérés.
  • On a aussi proposé d'évaluer un candidat par la médiane de ses évaluations. Se pose alors un problème de départage des ex-aequos. Une première méthode pour classer les ex-aequos a été proposée en 2007 par Michel Balinski et Rida Laraki sous l'appellation jugement majoritaire[7]. D'autres méthodes de meilleure médiane ont été proposées en 2020 par Adrien Fabre dont certaines sont plus simples et offrent des propriétés plus appréciables que le jugement majoritaire[8]. Ces méthodes sont le jugement typique, le jugement central et le jugement usuel.

Comparaison avec les systèmes de vote uni-nominaux

Par rapport aux systèmes de vote uninominaux (Scrutin uninominal majoritaire à un tour ou à deux tours), l'avantage de ce système est une prise en compte plus fidèle de l'opinion de l'électeur, qui peut notamment :

  • Marquer son soutien à plusieurs options (candidats ou idées), indépendamment les unes des autres.
  • Exprimer sa désapprobation autant que son approbation et nuancer son jugement pour chaque option. Par exemple, pour une élection démocratique avec une plage de valeurs de -2 à +2 : je soutiens sans hésitation ces 2 candidats (+2), si celui-ci gagnait je serais toutefois satisfait (+1), j'ai plus de réticences pour ce candidat (0 ou -1) et je rejette clairement les idées de ce dernier (-2).
  • S'affranchir totalement du "vote utile", à savoir, considérant les sondages avant le vote, voter pour B alors qu'on préfère A par peur que C l'emporte (B étant mieux placé dans les sondages que A).
  • Permettre de ne pas voter sur un seul schéma d'opposition binaire (un nom contre les autres ou un autre)
  • Donner de la valeur à l'expression de rejet, un vote blanc à de fait le sens d'une expression d'opinion.

Cependant, ses inconvénients sont :

  • Une violation du critère de la majorité (Un candidat préféré par une majorité de votants risque de ne pas être élu)
    Exemple : sur 60 votants, 31 ont donné le classement A>B>C, 7 le classement B>C>A, 12 le classement B>A>C, 2 le classement C>A>B et 8 le classement C>B>A. Le candidat A est en tête sur une majorité absolue de scrutins mais le vote avec les valeurs 1, 2, 3 donne pour A le score de 136, B celui de 137 et C celui de 87, signant la victoire de B .
  • Une mise en œuvre plus complexe, notamment pour éviter un risque de violation du secret du vote (voir infra).

Les votes par valeurs offrent un pouvoir d'expression plus important à chaque électeur. Par exemple si on utilise un tel système avec la méthode de la somme et une plage de valeurs admissibles de -5 à +5 pour départager trois options, l'électeur qui voterait (+5 +5 -5) contrebalance à lui tout seul 5 électeurs qui voteraient avec de faibles écarts (+2 +2 +4) : total +15 +15 +15. L'électeur qui n'exploite pas l'intégralité de la plage de valeurs disponibles diminue donc volontairement le poids de son vote. Par rapport au système binaire, l'électeur exprime ainsi une position intermédiaire entre le vote blanc et le vote exprimé (limité à un et un seul candidat en vote binaire). Plus la plage de valeurs autorisées est réduite moins cette forme de vote volontairement amoindrie est permise ; elle est impossible avec le vote par approbation (2 valeurs uniquement).

En se basant sur de tels arguments a priori ainsi que sur différents types d'expérimentations, Jean-François Laslier estime que les méthodes additives de vote par note, dont le vote par approbation, pourraient être utilisées en pratique et que, par comparaison avec les systèmes à un seul nom, elles tendraient à favoriser les candidats consensuels[9].

Contraintes de mise en œuvre

Sans précaution particulière, le vote par valeurs permet d'identifier une signature de vote. Par exemple, si l'on peut donner une note entre 0 et 9 à 10 candidats, il y a dix milliards de bulletins différents possibles (nombre de valeurs puissance nombre de candidats, soit ici 1010). Or chaque bureau de vote ne gère que quelques centaines d'électeurs. Il est donc possible d'attribuer à chaque électeur un bulletin bien précis et personnalisé (par exemple {(A=2), (B=5), (C=0), (D=8), (E=1), (F=4), (G=9), (H=5), (I=7), (J=3)}). Cela pourrait permettre d'exiger de lui, sous la menace, que ce bulletin soit bien trouvé lors du dépouillement. Le résultat de l'élection peut ainsi être manipulé sans que cela soit visible.

Pour éviter cet écueil, il suffit de segmenter le bulletin de chaque électeur en autant de parties qu'il y a de candidats. Il est alors impossible de reconstituer le bulletin et de reconnaître l'électeur, tout en préservant 100 % de l'information nécessaire aux recomptages éventuels. Concrètement, deux modes opératoires sont envisageables :

  • Il existe autant de bulletins que de candidats (comme dans le système de vote binaire français), l'électeur replie le bulletin afin de masquer la valeur qu'il a associé au candidat, mais laisse apparaître le nom du candidat et doit insérer dans l'urne un bulletin pour chaque candidat en lice.
  • L'électeur remplit un unique bulletin avec tous les candidats listés. La première étape du dépouillement consiste à compter et découper les bulletins « en aveugle » afin d'empêcher toute reconnaissance d'un électeur lors de la révélation des valeurs associées aux candidats.

Notes et références

  1. http://rangevoting.org/
  2. https://sites.google.com/site/ridalaraki/xfiles/BalinskiLarakiPNAS.pdf?attredirects=0
  3. « Le Vote de Valeur, pour renforcer la démocratie », sur votedevaleur.org (consulté le )
  4. (en) « Wikimedia Foundation elections/2017/Vote Questions - Meta », sur meta.wikimedia.org (consulté le )
  5. (en) « Wikipedia:Arbitration Committee Elections December 2017 », Wikipedia,‎ (lire en ligne)
  6. (en) Antoinette Baujard, Frédéric Gavrel, Herrade Igersheim, Jean-François Laslier et Isabelle Lebon, « Who's favored by evaluative voting? An experiment conducted during the 2012 French presidential election », Electoral Studies, vol. 34,‎ , p. 131-145 (DOI 10.1016/j.electstud.2013.11.003, lire en ligne, consulté le ).
  7. (en) Michel Balinski et Rida Laraki, « A theory of measuring, electing, and ranking », Proceedings of the National Academy of Sciences,‎ (DOI 10.1073/pnas.0702634104)
  8. (en) Adrien Fabre, « Tie-breaking the Highest Median: Alternatives to the Majority Judgment », Social Choice and Welfare,‎ (DOI 10.1007/s00355-020-01269-9, lire en ligne)
  9. Jean-François Laslier, Voter autrement. Le recours à l'évaluation, Editions Rue d'Ulm,

Voir aussi

Médias utilisés sur cette page

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Auteur/Créateur: historicair 17:50, 4 June 2007 (UTC), Licence: LGPL
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